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pas à Dora, que je regardai à l’instant même ; et il me sembla voir dans ses petites manières un peu volontaires et capricieuses qu’elle n’était pas très-disposée à mettre sa confiance dans sa compagne et protectrice Mlle Murdstone. Mais une cloche sonna ; M. Spenlow dit que c’était le premier coup pour le dîner, et me conduisit dans ma chambre.

Le moyen de s’habiller ou de faire quelque chose qui exigeât le moindre soin, quand on était plongé dans ce rêve d’amour ! c’eût été par trop ridicule. Tout ce que je pus faire, ce fut de m’asseoir devant le feu, la clef de mon sac de nuit entre les dents, incapable de toute autre chose que de penser à cette petite Dora, à sa grâce, à ses charmes, à ses yeux brillants. Quelle taille, quel visage, quelles manières enchanteresses, gracieuses jusques dans leurs caprices !

La cloche sonna si vite le second coup, que j’eus à peine le temps d’enfiler comme je pus mes habits, au lieu d’accomplir cette opération avec le soin que j’aurais voulu y apporter dans cette circonstance, et je descendis. Il y avait quelques personnes dans le salon. Dora parlait à un vieux monsieur en cheveux blancs. En dépit de ses cheveux blancs et de ses arrière-petits-enfants (car il se disait lui-même bisaïeul), j’étais horriblement jaloux de lui.

Quel état d’esprit que celui dans lequel j’étais plongé ! J’étais jaloux de tout le monde ! Je ne pouvais supporter l’idée que quelqu’un connût M. Spenlow mieux que moi. C’était une torture pour moi que d’entendre parler d’événements auxquels je n’avais pas pris part. Un monsieur parfaitement chauve, à tête luisante, fort aimable du reste, s’étant avisé de me demander à travers la table si c’était la première fois que je voyais le jardin, dans ma colère féroce et sauvage je ne sais pas ce que je lui aurais fait.

Je ne me rappelle pas les autres convives, je ne me rappelle que Dora. Je n’ai aucune idée de ce qu’on servit au dîner, je ne vis que Dora ; je crois vraiment que je dînai de Dora uniquement, et que je renvoyai une demi-douzaine d’assiettes sans y avoir touché. J’étais assis près d’elle, je lui parlais ; elle avait la plus douce petite voix, le petit rire le plus gai, les petites manières les plus charmantes et les plus séduisantes qui aient jamais réduit en servage un pauvre garçon éperdu. En tout, c’était une petite miniature ; elle n’en est que plus précieuse, me disais-je.

Quand elle quitta la salle à manger avec miss Murdstone