pour donner plus de force à ma question. Elle ne peut pas rester toute seule. »
Le trou que Peggotty se mit tout d’un coup à chercher dans le talon du bas qu’elle raccommodait devait être si petit, que je crois bien qu’il ne valait pas le peine d’être raccommodé.
« Mais, Peggotty, je vous dis qu’elle ne peut pas rester toute seule.
— Que le bon Dieu vous bénisse ! dit enfin Peggotty en levant les yeux sur moi : ne le savez-vous pas ? Elle va passer quinze jours chez mistress Grayper, et mistress Grayper va avoir beaucoup de monde. »
Puisqu’il en était ainsi, j’étais tout prêt à partir. J’attendais avec la plus vive impatience que ma mère revînt de chez mistress Grayper (car elle était chez elle ce soir-là) pour voir si on nous permettrait de mettre à exécution ce beau projet. Ma mère fut beaucoup moins surprise que je ne m’y attendais, et donna immédiatement son consentement ; tout fut arrangé le soir même, et on convint de ce qu’on payerait pendant ma visite pour mon logement et ma nourriture.
Le jour de notre départ arriva bientôt. On l’avait choisi si rapproché qu’il arriva bientôt, même pour moi qui attendais ce moment avec une impatience fébrile, et qui redoutais presque de voir un tremblement de terre, une éruption de volcan, ou quelque autre grande convulsion de la nature, venir à la traverse de notre excursion. Nous devions faire le voyage dans la carriole d’un voiturier qui partait le matin après déjeuner. J’aurais donné je ne sais quoi pour qu’on me permît de m’habiller la veille au soir et de me coucher tout botté.
Je ne songe pas sans une profonde émotion, bien que j’en parle d’un ton léger, à la joie que j’éprouvais en quittant la maison où j’avais été si heureux : je ne soupçonnais guère tout ce que j’allais quitter pour toujours.
J’aime à me rappeler que lorsque la carriole était devant la porte, et que ma mère m’embrassait, je me mis à pleurer en songeant, avec une tendresse reconnaissante, à elle et à ce lieu que je n’avais encore jamais quitté. J’aime à me rappeler que ma mère pleurait aussi, et que je sentais son cœur battre contre le mien.
J’aime à me rappeler qu’au moment où le voiturier se mettait en marche, ma mère courut à la grille et lui cria de s’arrêter, parce qu’elle voulait m’embrasser encore une fois. J’aime