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je crois en vérité, qu’elle éprouvait une sorte d’adoration pour lui, quand il sortit de chez elle ce soir-là.

Il resta à dîner chez Peggotty. Si je disais qu’il y consentit volontiers, je n’exprimerais qu’à demi la bonne grâce et la gaieté qu’il mit à accepter. Quand il entra dans la chambre de M. Barkis, on aurait dit qu’il y apportait le bon air et la lumière ; sa présence était comme un baume rafraîchissant. Sans effort, sans bruit, sans apprêt, il apportait à tout ce qu’il faisait un air d’aisance qu’on ne peut décrire, il semblait qu’il ne pût faire autrement, ni faire mieux, et la grâce, le naturel, le charme de ses manières me séduisent encore aujourd’hui quand j’y pense.

Nous rîmes à cœur joie dans la petite salle à manger, où je retrouvai sur le pupitre le livre des Martyrs, auquel on n’avait pas touché depuis mon départ, et je feuilletai de nouveau ses vieilles images si terribles qui m’avaient tant fait peur, et qui ne me faisaient plus rien du tout. Quand Peggotty parla de ma chambre, me disant qu’elle était prête et qu’elle espérait bien que je viendrais y coucher, avant que j’eusse pu jeter un regard d’hésitation sur Steerforth, il avait compris ce dont il s’agissait.

« Cela va sans dire, s’écria-t-il, vous coucherez ici pendant notre séjour, et moi je resterai à l’hôtel.

— Mais vous emmener si loin pour vous abandonner, cela ne me semble pas d’un bon camarade, Steerforth ! répondis-je.

— Mais, au nom du ciel, n’appartenez-vous pas naturellement à M. Barkis ? dit-il. Et qu’importe ce qu’il vous semble, en comparaison de cela ! » Tout fut donc convenu sur l’heure. Il soutint son rôle de la manière la plus brillante jusqu’au dernier moment, et à huit heures nous prîmes le chemin du bateau de M. Peggotty. Le charme des manières de Steerforth semblait augmenter à mesure que les heures s’écoulaient, et je pensais même alors, comme j’en suis convaincu maintenant, que le besoin de plaire, aidé par le succès, lui inspirait une délicatesse plus raffinée, un tact exquis qui ajoutait à la finesse de ses instincts naturels. Si on m’avait dit alors que c’était pour lui un simple jeu, auquel il avait recours, dans l’excitation du moment, pour occuper son esprit : un désir irréfléchi de prouver sa supériorité, dans le but de conquérir pour un moment une chose pour lui sans valeur, qu’il laisserait là au bout d’un moment ; si quelqu’un m’avait dit un pareil mensonge, ce soir-là, je ne sais à quoi il se serait