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et je vous préviens que je serai très-exigeant pour celui que vous choisirez. »

Nous avions causé jusqu’alors sur un ton d’enjouement plein de confiance, mêlé pourtant d’un certain sérieux ; c’était le résultat des relations intimes que nous avions commencées ensemble des l’enfance. Mais tout d’un coup Agnès leva les yeux et changeant de manière, me dit :

« Trotwood, il y a quelque chose que je veux vous dire, et que je n’aurai peut-être pas de longtemps une autre occasion de vous demander, quelque chose que je ne me déciderais jamais, je crois, à demander à un autre. Avez-vous remarqué chez papa un changement progressif ? »

Je l’avais remarqué, et je m’étais souvent demandé si elle s’en apercevait aussi. Mon visage trahit sans doute ce que je pensais, car elle baissa les yeux à l’instant même, et je vis qu’ils étaient pleins de larmes.

« Dites-moi ce que c’est, dit-elle à voix basse.

— Je crains… puis-je vous parler en toute franchise, Agnès ? Vous savez quelle affection j’ai pour lui.

— Oui, dit-elle.

— Je crains qu’il ne se fasse mal par cette habitude qui n’a fait qu’augmenter tous les jours depuis mon arrivée dans cette maison. Il est devenu très-nerveux, du moins je me le figure.

— Vous ce vous trompez pas, dit Agnès en secouant la tête.

— Sa main tremble, il ne parle pas nettement, et ses yeux sont hagards. J’ai remarqué que, dans ces moments-là, et quand il n’est pas dans son état naturel, il arrive presque toujours qu’on le demande justement pour quelque affaire.

— Oui, c’est Uriah, dit Agnès.

— Et l’idée qu’il ne se sent pas en état de la traiter, qu’il ne l’a pas bien comprise, ou qu’il n’a pas pu s’empêcher de laisser voir sa situation, semble le tourmenter tellement que le lendemain c’est bien pis, et le surlendemain pis encore ; et de là vient cet épuisement et cet air effaré. Ne vous effrayez pas de ce que je dis, Agnès mais je l’ai vu l’autre soir dans cet état, la tête sur son pupitre et pleurant comme un enfant. »

Elle posa doucement son doigt sur mes lèvres pendant que je parlais encore, puis l’instant d’après elle avait rejoint son père à la porte du salon, et s’appuyait sur son épaule. Ils me regardaient tous deux, et je fus vivement touché de l’expression du visage d’Agnès. Il y avait dans son regard une si profonde