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trouvait entre lui et moi l’empêchait de me voir, mais en regardant plus attentivement de ce côté, je vis bientôt avec un certain malaise que ses yeux perçants apparaissaient de temps en temps sous le manuscrit comme deux soleils enflammés, et qu’il me regardait furtivement, au moins pendant une minute, quoiqu’on entendît sa plume courir tout aussi vite qu’à l’ordinaire. J’essayai plusieurs fois d’échapper à ses regards ; je montai sur une chaise pour regarder une carte placée de l’autre côté de la chambre ; je m’enfonçai dans la lecture du journal du comté, mais ses yeux m’attiraient toujours, et toutes les fois que je jetais un regard sur ces deux soleils brûlants, j’étais sur de les voir se lever ou se coucher à l’instant même.

À la fin, après une assez longue absence, ma tante et M. Wickfield reparurent, à mon grand soulagement. Le résultat de leurs recherches n’était pas aussi satisfaisant que j’aurais pu le désirer, car si les avantages qu’offrait la pension étaient incontestables, ma tante n’avait pas été également satisfaite des maisons où je pouvais loger.

« C’est très-ennuyeux, dit-elle. Je ne sais que faire, Trot.

— C’est en effet très-ennuyeux, dit M. Wickfield, mais je vais vous dire ce que vous pourriez faire, miss Trotwood.

— Qu’est-ce ? dit ma tante.

— Laissez votre neveu ici, pour le moment. C’est un garçon tranquille : il ne me dérangera pas du tout. La maison est bonne pour étudier : elle est aussi tranquille qu’un couvent, et presque aussi spacieuse. Laissez-le ici. »

La proposition était évidemment du goût de ma tante, mais elle hésitait à l’accepter, par délicatesse. Moi de même.

« Allons ! miss Trotwood, dit M. Wickfield, il n’y a pas d’autre moyen de tourner la difficulté. C’est seulement un arrangement temporaire, vous savez. Si cela ne va pas bien, si cela nous gêne les uns ou les autres, nous pourrons toujours nous quitter, et dans l’intervalle, on aura le temps de lui trouver quelque chose qui convienne mieux. Mais, quant à présent, vous n’avez rien de mieux à faire que de le laisser ici.

— Je vous suis très-reconnaissante, dit ma tante, et je vois qu’il l’est comme moi, mais…

— Allons ! je sais ce que vous voulez dire, s’écrie M. Wickfield. Je ne veux pas vous forcer d’accepter de moi des faveurs, miss Trotwood, vous payerez sa pension si vous voulez. Nous ne disputerons pas sur le prix, mais vous payerez si vous voulez.