Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/207

Cette page n’a pas encore été corrigée

abandonné à moi-même et on m’a donné une besogne pour laquelle je ne suis pas fait. Je me suis sauvé pour venir vous trouver ; on m’a volé au moment de mon évasion, et j’ai marché tout le long du chemin sans avoir couché dans un lit depuis mon départ. » Ici mon courage m’abandonna tout à coup, et levant les mains pour lui montrer mes haillons et tout ce que j’avais souffert, je versai, je crois, tout ce que j’avais de larmes sur le cœur depuis huit jours.

Jusque-là, la physionomie de ma tante n’avait exprimé que l’étonnement ; assise sur le sable, elle me regardait en face, mais quand je me mis à pleurer, elle se leva précipitamment, me prit par le collet et m’emmena dans le salon. Son premier soin fut d’ouvrir une grande armoire, d’y prendre plusieurs bouteilles et de verser une partie de leur contenu dans ma bouche. Je suppose qu’elle les avait prises au hasard et sans choix, car je suis bien sûr d’avoir goûté d’enfilade de l’anisette, de la sauce d’anchois et une préparation pour la salade. Quand elle m’eut administré ces remèdes, comme j’étais dans un état nerveux qui ne me permettait pas d’étouffer mes sanglots, elle m’étendit sur la sofa, avec un châle sous ma tête, et le mouchoir qui ornait la sienne sous mes pieds, de peur que je ne salisse la housse, puis s’asseyant derrière l’écran vert dont j’ai déjà parlé et qui m’empêchait de voir son visage, elle déchargeait par intervalles l’exclamation de : « Miséricorde ! » comme des coups de canon de détresse.

Au bout d’un moment elle sonna. « Jeannette ! » dit ma tante. Quand la servante fut entrée, « montez faire mes compliments à M. Dick, et dites-lui que je voudrais lui parler. »

Jeannette eut l’air un peu étonnée de me voir étendu comme une statue sur le canapé (je n’osais pas bouger de peur de déplaire à ma tante), mais elle alla exécuter la commission. Ma tante se promena de long en large dans la chambre, ses mains derrière le dos, jusqu’à ce que le monsieur qui m’avait fait des grimaces de la fenêtre du premier étage entrât en riant.

« Monsieur Dick, lui dit ma tante, surtout pas de bêtises, parce que personne ne peut être plus sensé que vous quand cela vous convient. Nous le savons tous ; ainsi, pas de bêtises, je vous prie. »

Il prit à l’instant un air grave et me regarda d’un air que j’interprétai comme une prière de ne pas parler de l’incident de la fenêtre.

« Monsieur Dick, reprit ma tante, vous m’avez entendue parler