Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/201

Cette page n’a pas encore été corrigée

avançant son hideux visage hors de la boutique. Voulez-vous vous arranger de deux pence de plus ?

— Je ne peux pas, répondis-je, je mourrais de faim.

— Oh ! mes poumons, mon estomac ; trois pence.

— Je ne marchanderais pas plus longtemps pour quelques sous, si je pouvais, lui dis-je ; mais J’ai besoin de cet argent.

— Oh ! Goooo ! (II est impossible de rendre l’expression qu’il mit à cette exclamation, caché comme il était derrière le montant de la porte, et ne laissant voir que son rusé visage) ; voulez-vous partir pour quatre pence ? »

J’étais si épuisé et si fatigue que j’acceptai de guerre lasse, et prenant l’argent dans ses serres en tremblant un peu, je m’éloignai un moment avant le coucher du soleil ayant plus grand faim et plus grand soif que jamais. Mais je me remis bientôt complètement, grâce à une dépense de six sous ; et reprenant courageusement mon voyage, je fis trois lieues dans la soirée.

Je trouvai un abri pour la nuit sous une nouvelle meule de foin, et j’y dormis profondément après avoir lavé mes pieds endoloris dans un ruisseau voisin, et les avoir enveloppés de feuilles fraîches. Quand je me remis en route le lendemain matin, je vis se déployer de toutes parts des vergers et des champs de houblon. La saison était assez avancée pour que les arbres fussent déjà couverts de pommes mûres et la récolte du houblon commençait dans quelques endroits. La beauté des champs me séduisit infiniment, et je décidai dans mon esprit que je coucherais ce soir-là au milieu des houblons, m’imaginant sans doute que je trouverais une agréable compagnie dans cette longue perspective d’échalas entourée de gracieuses guirlandes de feuilles.

Je fis ce jour-là plusieurs rencontres qui m’inspirèrent une terreur dont le souvenir est encore vivant dans mon esprit. Parmi les gens errant par les chemins, je vis plusieurs misérables qui me regardèrent d’un air féroce, et me rappelèrent quand je les eus dépassés, en me disant de venir leur parler et quand je commençai à courir pour me sauver, ils me jetèrent des pierres. Je me souviens surtout d’un jeune homme, chaudronnier ambulant, je suppose, d’après son soufflet et son réchaud ; une femme l’accompagnait, et il me regarda d’un air si farouche, et me cria d’une voix si terrible de revenir sur mes pas que je m’arrêtai et me retournai.