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des manières de ma tante : il lui fit un petit salut, et tenta un léger sourire dans le but de l’apaiser.

« Miséricorde ! qu’a donc cet homme ? s’écria ma tante de plus en plus impatientée. Est-il muet ?

— Calmez-vous, ma chère madame, dit M. Chillip de sa plus douce voix. Il n’y a plus le moindre motif d’inquiétude, madame. Soyez calme, je vous en prie. »

Je ne comprends pas comment ma tante put résister au désir de secouer M. Chillip jusqu’à ce qu’il fût venu à bout d’articuler ce qu’il avait à dire. Elle se borna à hocher la tête, mais avec un regard qui le fit frissonner.

« Eh bien, madame, reprit M. Chillip dés qu’il eut retrouvé un peu de courage, je suis heureux de pouvoir vous féliciter. Tout est fini, madame, et bien fini. »

Pendant les cinq ou six minutes qu’employa M. Chillip à prononcer cette harangue, ma tante l’observa curieusement.

« Comment va-t-elle ? dit ma tante en croissant les bras, son chapeau toujours pendu à son poignet gauche.

— Eh bien, madame, elle sera bientôt tout à fait bien, j’espère, répondit M. Chillip. Elle est aussi bien que possible, pour une jeune mère qui se trouve dans une si triste situation. Je n’ai aucune objection à ce que vous la voyiez, madame. Cela lui fera peut-être du bien.

— Et elle, comment va-t-elle ? » demanda vivement ma tante.

M. Chillip pencha encore un peu plus la tête et regarda ma tante d’un air câlin.

« L’enfant, dit ma tante, comment va-t-elle ?

— Madame, répondit M. Chillip, je me figurais que vous le saviez. C’est un garçon. »

Ma tante ne dit pas un mot ; elle saisit son chapeau par les brides, le lança comme une fronde à la tête de M. Chillip, le remit tout bosselé sur sa propre tête, sortit de la chambre et n’y rentra pas. Elle disparut comme une fée de mauvaise humeur ou comme un des ces êtres surnaturels, que j’étais, disait-on, appelé à voir par le privilège de ma naissance ; elle disparut et ne revint plus.

Mon Dieu, non. J’étais couché dans mon berceau, ma mère était dans son lit et Betsy Trotwood Copperfield était pour toujours dans la région des rêves et des ombres, dans cette région mystérieuse d’où je venais d’arriver ; la lune, qui éclairait les fenêtres de ma chambre, se reflétait au loin sur la