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dans la maison, ni qu’aucune jeune personne y fût jamais venue, ou en eût jamais eu l’envie ; je n’ai pas appris non plus qu’on eût jamais fait les moindres préparatifs pour recevoir celles qui auraient pu se présenter. Les seuls visiteurs que j’aie jamais vus, ou dont j’aie entendu parler, étaient des créanciers. Ceux-là venaient à toute heure du jour, et quelques-uns d’entre eux étaient féroces. Il y avait un bottier, avec une figure crasseuse, qui s’introduisait dans le corridor, dès sept heures du matin, et qui criait du bas de l’escalier : « Allons ! vous n’êtes pas sortis encore ! Payez-nous, dites donc ! Ne vous cachez pas, voyez-vous, c’est une lâcheté ! Ce n’est pas moi qui voudrais faire une lâcheté pareille ! Payez-nous, dites donc ! Payez-nous tout de suite, allons ! » Puis, ne recevant pas de réponse à ces insultes, sa colère s’échauffait, et il lançait les mots de « filous et de voleurs, » ce qui restait également sans effet. Quand il voyait cela, il allait jusqu’à traverser la rue et à pousser des cris sous les fenêtres du second étage où il savait bien que M. Micawber couchait. En pareille occasion, M. Micawber était plongé dans le chagrin et le désespoir : il alla même un jour, à ce que j’appris par un cri de sa femme, jusqu’à faire le simulacre de se frapper avec un rasoir ; mais une demi-heure après il cirait ses souliers avec le soin le plus minutieux, et sortait en fredonnant quelque ariette, d’un air plus élégant que jamais. Mistress Micawber était douée de la même élasticité de caractère. Je l’ai vue se trouver mal à trois heures parce qu’on était venu toucher les impositions, et puis manger à quatre heures des côtelettes d’agneau panées, avec un bon pot d’ale, le tout payé en mettant en gage deux cuillers à thé. Un jour, je m’en souviens, on avait fait une saisie dans la maison, et en revenant par extraordinaire à six heures, je l’avais trouvée évanouie, couchée dans la cheminée (avec un des jumeaux dans ses bras naturellement), et ses cheveux à moitié arrachés, ce qui n’empêche pas que je ne l’aie jamais vue plus gaie que ce soir-là devant le feu de la cuisine, avec sa côtelette de veau, en me contant toutes sortes de belles choses de son papa et de sa maman, et de la société qu’ils recevaient.

Je passais tous mes loisirs avec cette famille. Je me procurais mon déjeuner, qui se composait d’un petit pain d’un sou et d’un sou de lait. J’avais un autre petit pain et un morceau de fromage qui m’attendaient dans le buffet, sur une planche consacrée à mon usage, pour mon souper quand je