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crois. Quelle honnête expression dans sa figure ! Ah ! le bon, l’excellent marteau ! Mais voici la dinde ! Holà ! hé ! Houp, houp ! comment vous va ? Un joyeux Noël ! »

C’était une dinde, celle-là ! Non, il n’est pas possible qu’il se soit jamais tenu sur ses jambes, ce volatile ; il les aurait brisées en moins d’une minute, comme des bâtons de cire à cacheter. « Mais j’y pense, vous ne pourrez pas porter cela jusqu’à Camden-Town, mon ami, dit Scrooge ; il faut prendre un cab. »

Le rire avec lequel il dit cela, le rire avec lequel il paya la dinde, le rire avec lequel il paya le cab, et le rire avec lequel il récompensa le petit garçon ne fut surpassé que par le fou rire avec lequel il se rassit dans son fauteuil, essoufflé, hors d’haleine, et il continua de rire jusqu’aux larmes.

Ce ne lui fut pas chose facile que de se raser, car sa main continuait à trembler beaucoup ; et cette opération exige une grande attention, même quand vous ne dansez pas en vous faisant la barbe. Mais il se serait coupé le bout du nez, qu’il aurait mis tout tranquillement sur l’entaille un morceau de taffetas d’Angleterre sans rien perdre de sa bonne humeur.

Il s’habilla, mit tout ce qu’il avait de mieux, et, sa toilette faite, sortit pour se promener dans les rues. La foule s’y précipitait en ce moment, telle qu’il l’avait vue en compagnie du spectre de Noël présent. Marchant les mains croisées derrière le dos, Scrooge regardait tout le monde avec un sourire de satisfaction. Il avait l’air si parfaitement gracieux, en un mot, que trois ou quatre joyeux gaillards ne purent s’empêcher de l’interpeller « Bonjour, monsieur ! Un joyeux Noël, monsieur ! » Et Scrooge affirma souvent plus tard que, de tous les sons agréables qu’il avait jamais entendus, ceux-là avaient été, sans contredit, les plus doux à son oreille.

Il n’avait pas fait beaucoup de chemin, lorsqu’il reconnut, se dirigeant de son côté, le monsieur à la tournure distinguée qui était venu le trouver la veille dans son comptoir, et lui disant : « Scrooge et Marley, je crois ? » Il sentit une douleur poignante lui traverser le cœur à la pensée du regard qu’allait jeter sur lui le vieux monsieur au moment où ils se rencontreraient ; mais il comprit aussitôt ce qu’il avait à faire, et prit bien vite son parti.

« Mon cher monsieur, dit-il en pressant le pas pour lui prendre les deux mains, comment vous portez-vous ? J’espère que votre journée d’hier a été bonne. C’est une démarche qui vous fait honneur ! Un joyeux Noël, monsieur !

― Monsieur Scrooge ?