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leurs poches, se groupant pour causer affaires, regardant à leurs montres et jouant d’un air pensif avec leurs grandes breloques, etc., etc., comme Scrooge les avait vus si souvent.

L’esprit s’arrêta près d’un petit groupe de ces capitalistes. Scrooge, remarquant la direction de sa main tendue de leur côté, s’approcha pour entendre la conversation.

« Non…, disait un grand et gros homme avec un menton monstrueux, je n’en sais pas davantage ; je sais seulement qu’il est mort.

― Quand est-il mort ? demanda un autre.

― La nuit dernière, je crois.

― Comment, et de quoi est-il mort ? dit un troisième personnage en prenant une énorme prise de tabac dans une vaste tabatière. Je croyais qu’il ne mourrait jamais…

― Il n’y a que Dieu qui le sache, reprit le premier avec un bâillement.

― Qu’a-t-il fait de son argent ? demanda un monsieur à la face rubiconde dont le bout du nez était orné d’une excroissance de chair qui pendillait sans cesse comme les caroncules d’un dindon.

― Je n’en sais trop rien, dit l’homme au double menton en bâillant de nouveau. Peut-être l’a-t-il laissé à sa société ; en tout cas, ce n’est pas à moi qu’il l’a laissé : voilà tout ce que je sais. »

Cette plaisanterie fut accueillie par un rire général.

« Il est probable, dit le même interlocuteur, que les chaises ne lui coûteront pas cher à l’église, non plus que les voitures ; car, sur mon âme, je ne connais personne qui soit disposé à aller à son enterrement. Si nous faisions la partie d’y aller sans invitation !

― Cela m’est égal, s’il y a une collation, fit observer le monsieur à la loupe ; mais je veux être nourri pour la peine.

― Eh bien ! après tout, dit celui qui avait parlé le premier, je vois que je suis encore le plus désintéressé de vous tous, car je n’y allais pas pour qu’on me donnât des gants noirs, je n’en porte pas ; ni pour sa collation, je ne goûte jamais ; et pourtant je m’offre à y aller, si quelqu’un veut venir avec moi. C’est que, voyez-vous, en y réfléchissant je ne suis pas sûr le moins du monde de n’avoir pas été son plus intime ami, car nous avions l’habitude de nous arrêter pour échanger quelques mots toutes les fois que nous nous rencontrions. Adieu, messieurs ; au revoir ! »

Le groupe se dispersa et alla se mêler à d’autres. Scrooge