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saient, il arrosait d’encens leur dîner avec sa torche. C’était, en vérité, une torche fort extraordinaire que la sienne, car, une fois ou deux, quelques porteurs de dîners s’étant adressé des paroles de colère pour s’être heurtés un peu rudement dans leur empressement, il en fit tomber sur eux quelques gouttes d’eau ; et aussitôt ces hommes reprirent toute leur bonne humeur, s’écriant que c’était une honte de se quereller un jour de Noël. Et rien de plus vrai ! mon Dieu ! rien de plus vrai !

Peu à peu les cloches se turent, les boutiques de boulangers se fermèrent, mais il y avait comme un avant-goût réjouissant de tous ces dîners et des progrès de leur cuisson dans la vapeur humide qui dégelait en l’air au-dessus de chaque four, dont le carreau fumait comme s’il cuisait avec les plats.

« Y a-t-il donc une saveur particulière dans ces gouttes que vous faites tomber de votre torche en la secouant ? demanda Scrooge.

― Certainement, il y a ma saveur, à moi.

― Est-ce qu’elle peut se communiquer à toute espèce de dîner aujourd’hui ? demanda Scrooge.

― À tout dîner offert cordialement, et surtout aux plus pauvres.

― Pourquoi aux plus pauvres ?

― Parce que ce sont ceux qui en ont le plus besoin.

― Esprit, dit Scrooge après un instant de réflexion, je m’étonne alors que, parmi tous les êtres qui remplissent les mondes situés autour de nous, des esprits comme vous se soient chargés d’une commission aussi peu charitable : celle de priver ces pauvres gens des occasions qui s’offrent à eux de prendre un plaisir innocent.

― Moi ? s’écria l’esprit.

― Oui, puisque vous les privez du moyen de dîner tous les huit jours, et cela le seul jour souvent où l’on puisse dire qu’ils dînent, continua Scrooge. N’est-ce pas vrai ?

― Moi ! s’écria l’esprit.

― Certainement ; n’est-ce pas vous qui cherchez à faire fermer ces fours le jour du sabbat ? dit Scrooge. Et cela ne revient-il pas au même ?

― Moi ! je cherche cela ! s’écria l’esprit.

― Pardonnez-moi, si je me trompe. Cela se fait en votre nom ou, du moins, au nom de votre famille, dit Scrooge.

― Il y a, répondit l’esprit, sur cette terre où vous habitez, des hommes qui ont la prétention de nous connaître et qui, sous notre nom, ne font que servir leurs passions coupables,