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lée par le froid. Le ciel était sombre ; les rues les plus étroites disparaissaient enveloppées dans un épais brouillard qui tombait en verglas et dont les atomes les plus pesants descendaient en une averse de suie, comme si toutes les cheminées de la Grande-Bretagne avaient pris feu, de concert, et se ramonaient elles-mêmes à cœur joie. Londres, ni son climat, n’avaient rien de bien agréable. Cependant on remarquait partout dehors un air d’allégresse, que le plus beau jour et le plus brillant soleil d’été se seraient en vain efforcés d’y répandre.

En effet, les hommes qui déblayaient les toits paraissaient joyeux et de bonne humeur ; ils s’appelaient d’une maison à l’autre, et de temps en temps échangeaient en plaisantant une boule de neige (projectile assurément plus inoffensif que maint sarcasme), riant de tout leur cœur quand elle atteignait le but, et de grand cœur aussi quand elle venait à le manquer.

Les boutiques de marchands de volailles étaient encore à moitié ouvertes, celles des fruitiers brillaient de toute leur splendeur. Ici de gros paniers, ronds, au ventre rebondi, pleins de superbes marrons, s’étalant sur les portes, comme les larges gilets de ces bons vieux gastronomes s’étalent sur leur abdomen, semblaient prêts à tomber dans la rue, victimes de leur corpulence apoplectique ; là des oignons d’Espagne rougeâtres, hauts en couleur, aux larges flancs, rappelant par cet embonpoint heureux les moines de leur patrie, et lançant, du haut de leurs tablettes, d’agaçantes œillades aux jeunes filles qui passaient en jetant un coup d’œil discret sur les branches de gui suspendues en guirlandes ; puis encore, des poires, des pommes amoncelées en pyramides appétissantes ; des grappes de raisin, que les marchands avaient eu l’attention délicate de suspendre aux endroits les plus exposés à la vue, afin que les amateurs se sentissent venir l’eau à la bouche, et pussent se rafraîchir gratis en passant ; des tas de noisettes, moussues et brunes, faisant souvenir, par leur bonne odeur, d’anciennes promenades dans les bois, où l’on avait le plaisir d’enfoncer jusqu’à la cheville au milieu des feuilles sèches ; des biffins de Norfolk, dodues et brunes, qui faisaient ressortir la teinte dorée des oranges et des citrons, et semblaient se recommander avec instance par leur volume et leur apparence juteuse, pour qu’on les emportât dans des sacs de papier, afin de les manger au dessert. Les poissons d’or et d’argent, eux-mêmes, exposés dans des bocaux parmi ces fruits de choix, quoique appartenant à une race triste et apathique, paraissaient s’apercevoir, tout poissons qu’ils étaient, qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire, allaient et venaient, ouvrant la bouche