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reau était suspendu à sa ceinture, mais sans épée, et à demi-rongé par la rouille.

« Vous n’avez encore jamais vu mon semblable ! s’écria l’esprit.

― Jamais, répondit Scrooge.

― Est-ce que vous n’avez jamais fait route avec les plus jeunes membres de ma famille ; je veux dire (car je suis très-jeune) mes frères aînés de ces dernières années ? poursuivit le fantôme.

― Je ne le crois pas, dit Scrooge. J’ai peur que non. Est-ce que vous avez eu beaucoup de frères, Esprit ?

― Plus de dix-huit cents, dit le spectre.

― Une famille terriblement nombreuse, quelle dépense ! » murmura Scrooge.

Le fantôme de Noël présent se leva.

« Esprit, dit Scrooge avec soumission, conduisez-moi où vous voudrez. Je suis sorti la nuit dernière malgré moi, et j’ai reçu une leçon qui commence à porter son fruit. Ce soir, si vous avez quelque chose à m’apprendre, je ne demande pas mieux que d’en faire mon profit.

― Touchez ma robe ! »

Scrooge obéit et se cramponna à sa robe : houx, gui, baies rouges, lierre, dindes, oies, gibier, volailles, jambons, viandes, cochons de lait, saucisses, huîtres, pâtés, poudings, fruits et punch, tout s’évanouit à l’instant. La chambre, le feu, la lueur rougeâtre, la nuit disparurent de même : ils se trouvèrent dans les rues de la ville, le matin de Noël, où les gens, sous l’impression d’un froid un peu vif, faisaient partout un genre de musique quelque peu sauvage, mais avec un entrain dont le bruit n’était pas sans charme, en raclant la neige qui couvrait les trottoirs devant leur maison, ou en la balayant de leurs gouttières, d’où elle tombait dans la rue à la grande joie des enfants ravis de la voir ainsi rouler en autant de petites avalanches artificielles.

Les façades des maisons paraissaient bien noires et les fenêtres encore davantage, par le contraste qu’elles offraient avec la nappe de neige unie et blanche qui s’étendait sur les toits, et celle même qui recouvrait la terre, quoiqu’elle fût moins virginale ; car la couche supérieure en avait été comme labourée en sillons profonds par les roues pesantes des charrettes et des voitures ; ces ornières légères se croisaient et se recroisaient l’une l’autre des milliers de fois aux carrefours des principales rues, et formaient un labyrinthe inextricable de rigoles entremêlées, à travers la bourbe jaunâtre durcie sous sa surface, et l’eau conge-