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«  Et ce n’est pas mon moindre supplice, continua le spectre… je suis ici ce soir pour vous avertir qu’il vous reste encore une chance et un espoir d’échapper à ma destinée, une chance et un espoir que vous tiendrez de moi, Ebenezer.

― Vous fûtes toujours pour moi un bon ami, dit Scrooge. Merci.

― Vous allez être hanté par trois esprits », ajouta le spectre.

La figure de Scrooge devint en un moment aussi pâle que celle du fantôme lui-même.

«  Est-ce là cette chance et cet espoir dont vous me parliez, Jacob ? demanda-t-il d’une voix défaillante.

― Oui.

― Je… je… crois que j’aimerais mieux qu’il n’en fût rien, dit Scrooge.

― Sans leurs visites, reprit le spectre, vous ne pouvez espérer d’éviter mon sort. Attendez-vous à recevoir le premier demain quand l’horloge sonnera une heure.

― Ne pourrais-je pas les prendre tous à la fois pour en finir, Jacob ? insinua Scrooge.

― Attendez le second à la même heure la nuit d’après, et le troisième la nuit suivante, quand le dernier coup de minuit aura cessé de vibrer. Ne comptez pas me revoir, mais, dans votre propre intérêt, ayez soin de vous rappeler ce qui vient de se passer entre nous. »

Après avoir ainsi parlé, le spectre prit sa mentonnière sur la table et l’attacha autour de sa tête comme auparavant. Scrooge le comprit au bruit sec que firent ses dents lorsque les deux mâchoires furent réunies l’une à l’autre par le bandage. Alors il se hasarda à lever les yeux et aperçut son visiteur surnaturel, debout devant lui, portant sa chaîne roulée autour de son bras.

L’apparition s’éloigna en marchant à reculons ; à chaque pas qu’elle faisait, la fenêtre se soulevait un peu, de sorte que, quand le spectre l’eut atteinte, elle était toute grande ouverte. Il fit signe à Scrooge d’approcher ; celui-ci obéit. Lorsqu’ils furent à deux pas l’un de l’autre, l’ombre de Marley leva la main et l’avertit de ne pas approcher davantage. Scrooge s’arrêta, non pas tant par obéissance que par surprise et par crainte ; car, au moment où le fantôme leva la main, il entendit des bruits confus dans l’air, des sons incohérents de lamentation et de désespoir, des plaintes d’une inexprimable tristesse, des voix de regrets et de remords. Le spectre, ayant un moment prêté l’oreille, se joignit à ce chœur lugubre, et s’évanouit au sein de la nuit pâle et sombre.