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LA BATAILLE DE LA VIE.



PREMIÈRE PARTIE.


Jadis, peu importe l’époque, et dans la vaillante Angleterre, peu importe où, une terrible bataille fut livrée. C’était pendant un de ces longs jours d’été, où l’herbe ondoyante est encore verte. Ce jour-là, mainte fleur sauvage, formée par une main toute-puissante pour recevoir la rosée dans son calice embaumé, sentit sa corolle émaillée s’emplir de sang jusqu’aux bords, et s’inclina mourante sur sa tige. Maint insecte, tirant ses couleurs délicates des feuilles et des herbes pures, fut souillé, ce jour-là, par le sang des mourants, et, dans son épouvante, marqua son passage de traces étranges. Le papillon diapré emporta dans l’air le bout de ses ailes taché de sang. Le ruisseau coula rouge. Le sol piétiné devint un marécage, et des flaques de sang, creusées par les pieds des hommes et des chevaux, miroitèrent lugubrement au soleil.

Que le ciel nous préserve de connaître les spectacles que la lune contempla sur ce champ de bataille, lorsque, s’élevant au dessus de la ligne noire des lointaines collines, elle monta dans le ciel et découvrit la plaine jonchée de têtes renversées, qui jadis, sur le sein maternel, avaient cherché les doux regards ou paisiblement sommeillé ! Que le ciel nous préserve d’apprendre les secrets murmurés plus tard par le vent corrompu qui souffla sur la scène où fut accomplie l’œuvre de ce jour fatal ! Bien des lunes solitaires ont éclairé le champ de bataille, bien des étoiles ont veillé sur lui pendant des nuits de deuil, et bien des brises, venant de tous les points du globe, ont passé sur ces lieux, avant que les traces du combat aient disparu.