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« Et vous, vous êtes son amoureux, sans doute ? dit l’alderman au jeune forgeron.

— Oui, répliqua vivement Richard piqué de cette question à brûle-pourpoint, et nous allons nous marier le jour de l’an.

— Que voulez-vous dire ? s’écria Filer d’un ton aigre ; vous marier ?

— Mais, sans doute ; nous y pensons, mon bourgeois. Et nous sommes pressés, voyez-vous, de peur qu’on ne vienne aussi à supprimer ça.

— Ah ! s’écria Filer en gémissant ; supprimez-le en effet, alderman ; vous n’aurez jamais rien fait de mieux. Le mariage ! le mariage ! l’ignorance des premiers principes de l’économie politique chez ces gens-là, leur imprévoyance, leur perversité, en voilà bien assez, grand Dieu ! pour… Regardez-moi un peu ce couple, s’il vous plaît ! »

En effet, Richard et Meg en valaient bien la peine ; et, à les voir, rien, ce semble, ne paraissait plus naturel et plus raisonnable que leur mariage.

« Quand un homme vivrait aussi vieux que Mathusalem, dit M. Filer ; quand il travaillerait, pendant cette longue vie, dans l’intérêt de ces gens-là, quand il entasserait les faits sur les chiffres et les chiffres sur les faits, aussi haut que les plus hautes montagnes, il ne faudrait pas pour cela qu’il se flattât de les convaincre qu’ils n’ont pas plus de droit ou d’avantage à se marier qu’ils n’en avaient à naître. Et cependant, nous savons bien qu’ils n’en ont pas le droit. Depuis longtemps, c’est un fait rigoureusement démontré par nous, comme une vérité mathématique. »

L’alderman Cute, que tout cela divertissait extrêmement, commença par appuyer l’index de sa main droite sur l’un des côtés de son nez, comme pour dire à ses deux amis : « Regardez moi bien, je vous prie, ne perdez pas de vue l’homme pratique ! » Puis il appela Meg près de lui.

« Venez ici, ma petite ! lui dit-il.

Depuis quelques minutes, l’amoureux sentait bouillir son sang qui lui montait furieusement à la tête, et il était fort peu disposé à la laisser obéir. Cependant, faisant un effort sur lui-même, il s’approcha en même temps qu’elle, hardiment, et se plaça debout à ses côtés. Trotty continuait à presser sous son bras la main de sa fille, mais ne cessait de jeter, sur toutes les personnes présentes, des regards aussi effarés que ceux d’un somnambule au milieu de ses rêves.

« Maintenant, ma petite, je vais vous adresser une parole ou