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Vous n’appelez pas cela un temps, je pense ? Quant à moi, j’en suis à cent lieues. Jetez les yeux sur le recueil des Costumes de Strutt, et vous verrez ce que c’était qu’un commissionnaire sous le règne de quelque bon vieux roi de notre vieille Angleterre.

— Laissez-moi donc ! c’était le temps où, dans ses plus beaux jours, dit M. Filer, il n’avait pas de chemise à se mettre sur le dos, ni de bas dans ses souliers ; à peine si toute l’Angleterre produisait un seul légume qu’il pût manger. Il me serait facile de le prouver par les tableaux statistiques. » Mais le monsieur à la figure rubiconde n’en fit pas moins l’éloge du bon vieux temps, du grand et noble bon vieux temps. Quoi qu’on pût dire de contraire, il tournait et retournait toujours dans le même cercle pour en revenir à son éternel refrain, comme un pauvre écureuil qui tourne et retourne sans cesse dans sa cage, avec une idée aussi claire et aussi distincte du mécanisme qu’il fait ainsi mouvoir, que le monsieur à la figure rubiconde en avait lui-même de feu l’âge d’or qu’il regrettait. Il est possible que la foi du pauvre Toby dans ces bons vieux temps si confus ne fût pas non plus entièrement détruite, car il se sentit en ce moment fort embarrassé de ce qu’il devait croire. Une chose pourtant lui semblait claire et évidente au milieu de sa perplexité, c’est que, malgré les divergences d’opinions qui pouvaient exister entre ces messieurs dans les détails, ses conjectures philosophiques du matin, et de combien d’autres matinées encore, n’en demeuraient pas moins bien fondées. « Non, non, pensait-il dans son désespoir, nous ne sommes pas capables d’aller bien, ni de rien faire de bien ; nous ne sommes bons à rien. Nous sommes nés mauvais ! »

Cependant Trotty portait dans sa poitrine un cœur de père qui se révoltait contre cette sentence ; et il ne pouvait supporter l’idée que Meg, encore sous l’impression de sa courte joie, dût se voir exposée à entendre tirer son horoscope par ce trio d’oracles. « Par ma fine ! pensait le pauvre père, elle ne saura que trop tôt le sort que lui réserve l’avenir. »

En conséquence, il fit signe au jeune forgeron de l’emmener. Mais Richard était si absorbé dans les doux propos qu’il tenait à sa fiancée, un peu en arrière, que les signes inquiets du bon homme ne purent éveiller son attention avant d’avoir attiré celle de l’alderman Cute. Or, l’alderman n’avait pas encore placé son mot, et c’était aussi un philosophe, mais un philosophe pratique, oh ! ce qu’il y a de plus pratique, et, comme il n’avait pas envie de perdre un seul de ses auditeurs : « Arrêtez ! » s’écria-t-il. « Vous savez, dit l’alderman, s’adressant à ses deux amis