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dans les larges goussets d’un étroit pantalon gris-souris, dont cette habitude même faisait retomber de chaque côté les coins en oreilles de chien. Il avait l’air, dans toute sa personne négligée, d’un homme qui ménage les coups de brosse et qui ne se ruine pas en savon. L’autre monsieur, gras, reluisant, cossu, portant un habit bleu à boutons de métal et une cravate blanche ; son teint très-coloré annonçait sans doute qu’il y avait une partie du sang destiné à l’équilibre de son individu qui s’arrêtait indûment dans sa tête, ce qui explique sans doute pour quoi il paraissait si froid dans la région du cœur.

Celui qui tenait le dîner de Toby au bout de la fourchette appela le premier du nom de Filer, et ils se mirent tout près l’un de l’autre. Comme M. Filer avait la vue excessivement basse, il fut forcé d’examiner de si près le restant du dîner de Toby avant de pouvoir se rendre compte de ce que c’était, que le pauvre homme en eut la chair de poule. Cependant, il faut être juste, M. Filer ne le mangea pas.

« Vous voyez là, alderman , dit M. Filer en piquant le morceau de tripes avec un portecrayon, une espèce de nourriture animale connue généralement par la population ouvrière de ce pays sous le nom de tripes.

L’alderman sourit et cligna de l’œil, car c’était un joyeux compère que l’alderman Cute ; oh ! oui, et un rusé compère aussi ! un vrai connaisseur en toutes choses ! On ne pouvait lui en imposer ; il lisait dans l’âme des gens. Il connaissait bien son monde, l’alderman Cute, je vous en réponds !

« Mais qui est-ce qui mange des tripes ? dit M. Filer promenant son regard autour de lui. La tripe est, sans contredit, l’article de consommation le moins économique qu’il soit possible aux marchés de ce pays de produire, celui qui donne le plus de déchet. On a reconnu que la perte d’une livre de tripes s’élevait, par la cuisson, à plus des sept huitièmes par livre d’un cinquième de la perte subie dans les mêmes circonstances par toute autre substance animale. La tripe, à tout prendre, revient donc plus cher que l’ananas de serre chaude. Si l’on calcule le nombre d’animaux abattus chaque année d’après le relevé des tables authentiques de mortalité, et si l’on estime au plus bas la quantité de tripes que produiraient ces animaux convenablement débités par la boucherie, on trouve que le déchet résultant de la cuisson sur cette quantité même suffirait pour nourrir une garnison de cinq cents hommes pendant cinq mois de trente et un jours chacun, et le mois de février par-dessus le marché. Quel gaspillage, quel gaspillage ! »