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— Oui, ma fille, à ce qu’il me semble, au moins, dit Trotty, attaquant son dîner avec une grande vigueur. Et alors où est la différence ? Si je les entends me parler, qu’importe qu’elles me parlent ou non ? Si vous saviez, ma chérie, continua-t-il en lui montrant la tour avec sa fourchette, et s’animant de plus en plus sous l’influence du dîner, combien de fois je les ai entendues les bonnes cloches me dire : Toby Veck, Toby Veck, bon courage, Toby ! Toby Veck, Toby Veck, bon courage, cher Toby ! Un million de fois ? Ce n’est pas assez, bien davantage, ma foi !

— Eh bien ! moi, jamais ! s’écria Meg. Le fait est cependant qu’elle l’avait entendu dire un nombre infini de fois. Car c’était le thème favori de son père.

— Et quand les affaires vont mal tout à fait, continua Toby, aussi mal que possible, alors, c’est : Toby Veck, Toby Veck, la besogne viendra bientôt, Toby ! Toby Veck, Toby Veck, la besogne viendra bientôt, cher Toby ! tout comme ça.

— Et à la fin, elle vient, au moins, mon père ? dit Meg avec une nuance de tristesse dans sa douce voix.

— Toujours, répondit Toby sans la remarquer ; cela ne manque jamais. »

Pendant ce dialogue, Trotty n’interrompit pas une minute l’attaque qu’il dirigeait contre le repas savoureux placé devant lui, mais il coupait et mangeait, il coupait et buvait, il coupait et mâchait, passant des tripes à la pomme de terre chaude, puis, revenant de la pomme de terre chaude aux tripes, en véritable gourmet et avec un appétit infatigable. Cependant, comme il regardait à droite et à gauche dans la rue, pour voir si personne ne lui faisait signe de quelque porte ou de quelque fenêtre afin de lui donner une commission, ses yeux, au retour, rencontrèrent Meg assise vis-à-vis de lui, les bras croisés et tout occupée de le voir à l’œuvre avec un sourire de bonheur.

« Mais, Dieu me pardonne ! dit-il tout à coup en laissant tomber son couteau et sa fourchette… ma colombe ! Meg chérie ! pourquoi ne pas me le dire ? quelle brute je suis !

— Père !

— Quoi ! continua Toby comme pour expliquer son repentir subit, je suis là tranquillement assis, me bourrant, m’empiffrant et me gorgeant à mon aise, tandis que je te laisse debout devant moi, encore à jeun, sans doute, et ne voulant pas me le dire, tandis que…

— Mais je ne suis pas à jeun, mon père, interrompit sa fille en riant, tant s’en faut ; j’ai eu aussi mon dîner, moi.