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glacial qui entrait en même temps qu’elle et bleuissait le visage des petits Pardiggle dont elle était suivie.

« Jeunes ladies, nous dit-elle après les salutations d’usage et avec une grande volubilité, je vous présente mes cinq fils, dont vous avez pu voir les noms sur les listes de souscription imprimées que possède M. Jardnyce, mon estimable ami : Egbert, mon fils aîné (douze ans) est celui qui envoya tout son argent de poche, cinq schellings et trois pence, aux Indiens Tockahoupo  ; Oswald, mon second fils (dix ans et demi) contribua pour deux schellings et neuf pence à la grande manifestation nationale des forgerons ; ainsi que François, mon troisième (neuf ans), qui donna pour le même objet un schelling six pence et un demi-penny ; Félix, mon quatrième (sept ans), a envoyé huit pence à la société des veuves ; Alfred, mon petit dernier (cinq ans), fait volontairement partie de l’association des enfants de la joie, et s’est engagé pour la vie à ne jamais user de tabac sous une forme quelconque. »

Vous n’avez jamais vu d’enfants plus mécontents, et dont la figure, contractée par la fureur, exprimât plus de rage concentrée en entendant citer le chiffre de leurs contributions ; quant à l’enfant de la joie, on n’a pas l’air plus malheureux ni plus stupide.

« Si j’ai bien compris, nous dit mistress Pardiggle, vous avez fait une visite à mistress Jellyby ?

— Oui, madame, répondis-je, nous y avons même couché.

— Mistress Jellyby, poursuivit notre interlocutrice d’un ton dogmatique, d’une voix qui me sembla porter des lunettes et avec de gros yeux qui lui sortaient de la tête… mistress Jellyby est un bienfait pour la société tout entière, et mérite qu’on la soutienne ; mes fils ont contribué pour leur part à ses projets sur l’Afrique ; Egbert y a souscrit pour un schelling et six pence, montant de la petite somme qui lui est allouée pour neuf semaines ; Oswald pour un schelling et un penny, et les autres suivant leurs faibles moyens. Toutefois je ne partage pas entièrement la manière de voir de mistress Jellyby et n’approuve pas sa conduite envers sa jeune famille. On a fait cette remarque fâcheuse, que ses enfants sont exclus de toute participation à l’œuvre qu’elle a entreprise. Elle peut avoir raison, comme elle peut avoir tort ; mais à tort ou à raison, ce n’est pas ainsi que je me conduis envers ma jeune famille, que je conduis partout avec moi. »

Ces paroles arrachèrent au malheureux Egbert une plainte qu’il termina par un bâillement, mais qui, j’en suis certaine, commença par un cri.