Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/93

Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

tends parler d’une petite orpheline qui n’a personne au monde ; je me mets en tête de devenir son protecteur ; elle grandit, fait plus que justifier mes espérances, et je reste son tuteur et son ami : c’est tout ce qu’il y a de plus simple. Maintenant les vieux comptes sont réglés, et j’ai devant moi ton aimable figure, aimable et franche s’il en fut.

L’effet des paroles de mon tuteur avait été si puissant que je retrouvai tout à coup mon sang-froid et que je croisai tranquillement mes mains sur mon panier. M. Jarndyce m’approuva du regard et se mit à me parler avec la même confiance que si j’avais eu l’habitude de causer avec lui chaque matin.

« Ainsi donc, me dit mon tuteur, vous ne comprenez rien à cette affaire ? »

Je fis un signe négatif.

« Eh bien ! je ne crois pas, poursuivit-il, que personne y comprenne davantage ; les avocats ont si bien dénaturé le fait primitif et l’ont tellement embrouillé qu’il a disparu depuis longtemps et qu’il n’est même plus en cause. C’est à propos de testament et de fidéicommis : du moins c’était à ce sujet-là, car aujourd’hui le procès n’existe plus que relativement aux frais, la seule chose dont on s’occupe. Nous comparaissons, disparaissons, interrogeons, verbalisons, contre-verbalisons, disputons, motionnons, rapportons, référons, considérons, tournons autour du grand chancelier et de tous ses satellites ; et nous valsons ainsi en toute équité jusqu’à ce que mort s’ensuive, rien qu’à propos des frais. C’est là toute la question ; le reste s’est évanoui je ne sais comment.

— Mais n’était-ce pas, disiez-vous, à propos d’un testament ? lui demandai-je pour le rappeler à lui-même, car il commençait à se frotter vivement la tête.

— Oui, répondit-il ; autrefois, quand c’était à propos de quelque chose. Un certain Jarndyce avait, dans un jour de malheur, fait une fortune considérable, et crut devoir, à sa mort, en disposer par testament. La fortune a passé tout entière à savoir comment seraient administrés les fidéicommis ; ceux qu’elle devait enrichir ont été réduits à une telle misère qu’ils n’auraient pas pu être plus rudement châtiés, s’ils s’étaient, par un crime, approprié les sommes qui leur étaient léguées. Pour le testament, ce ne fut jamais qu’une lettre morte ; et depuis le commencement de cette affaire, chaque fois qu’une chose connue de tout le monde est ignorée d’un seul individu, on la lui signifie : chacun alors reçoit une nouvelle copie de toutes les pièces ; et à chaque incident les copies s’accumulent et s’entassent jusqu’à former la charge de plusieurs charrettes ; souvent