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sonnifie une idée plus souriante et plus sage ? Il vous dit tout bonnement : « Veuillez bien m’excuser ; mais je ne puis vraiment pas m’occuper du magasin. Je me trouve dans un monde où il y a tant à voir et où l’on reste si peu, que je m’empresse de regarder autour de moi, ne demandant qu’une chose, c’est d’être pourvu de ce qui m’est nécessaire par ceux qui n’ont « pas besoin de regarder autour d’eux. »

Suivant M. Skimpole, toute la philosophie du bourdon était renfermée dans ce peu de mots, et il la trouvait excellente, ajoutant que le bourdon, facile à vivre par nature, consentirait volontiers à rester en bons termes avec l’abeille et y resterait toujours, si cette dernière avait moins de prétentions orgueilleuses pour son miel.

Il poursuivit ce raisonnement, qu’il étendit à une foule de sujets, avec une délicatesse et une vivacité qui nous firent beaucoup rire, bien qu’il parût attacher une intention réelle au sens de ses paroles, et y mettre tout le sérieux dont il était capable. Je le laissai développant ses théories, et je retournais vaquer à mes occupations, lorsque, traversant un corridor, M. Jarndyce m’appela et me fit entrer dans une petite pièce où l’on voyait, d’un côté, des papiers et des livres qui la faisaient ressembler à une bibliothèque ; de l’autre, une collection de bottes, de souliers et de cartons à chapeau qui la convertissaient en un véritable musée de toilette.

« Asseyez-vous, et apprenez, chère fille, me dit M. Jarndyce, que vous êtes dans mon grognoir. Quand je suis de mauvaise humeur, je viens ici, je m’y enferme et j’y grogne ; c’est, de toute la maison, la pièce qui me sert le plus. Vous ne vous doutez pas de mon affreux caractère ;… mais vous tremblez, chère enfant ? »

Comment n’être pas émue ? J’essayais de me contenir ; mais me trouver en face de cet homme généreux, voir son regard s’arrêter sur le mien avec tant de bienveillance, et me sentir si heureuse, si honorée ; oh ! que mon cœur était plein !…

Je pris sa main, que je baisai. Je ne sais pas ce qu’il me dit ou même s’il me parla : il sembla déconcerté, fit quelques pas vers la fenêtre, et je crus qu’il allait la franchir et disparaître ; mais je fus bientôt rassurée en voyant dans ses yeux ce qui l’avait fait s’éloigner afin de me le cacher. Il me frappa doucement sur la tête, et nous nous assîmes tous les deux.

« Ah !… dit-il, c’est fini ; bouh ! pas de folies, mon enfant !

— Cela ne m’arrivera plus, monsieur, répondis-je ; mais, tout d’abord, il est bien difficile…

— Au contraire ; rien n’était plus aisé. Pourquoi pas ? j’en-