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mière fois que j’avais vu la rudesse des formes cacher la douceur et la sérénité.

La maison était tenue avec tant d’ordre, et tout le monde se montra si attentif et si bon envers moi, que mes deux trousseaux de clefs ne me causèrent nul embarras. Néanmoins, la visite des buffets et des tiroirs de l’office, les notes que je pris sur les jambons, les conserves, les bouteilles, les verres, la porcelaine et tant d’autres menues choses, en un mot tous les soins que j’apportai dans mes recherches, car je suis de ma nature une personne méthodique et tant soit peu vieille fille, m’occupèrent au point que je ne pouvais croire qu’il fût l’heure du déjeuner quand j’entendis la cloche qui nous y appelait tous. J’y courus aussitôt et m’empressai de faire le thé, car c’était à moi que la théière avait été confiée. Puis, comme personne n’était encore descendu, je crus pouvoir jeter un coup d’œil au dehors. Devant la porte d’entrée s’étendait l’avenue par laquelle nous étions arrivés et l’allée circulaire qui conduisait au perron. Derrière la maison était le jardin rempli de fleurs ; Éva le regardait de sa fenêtre, et me jeta un sourire, comme si elle avait voulu m’embrasser à distance. Après le jardin on trouvait le potager, puis un enclos, un terrain rempli de meules de foin et de blé, enfin une petite cour de ferme. Quant à la maison par elle-même, avec ses trois pignons, ses fenêtres variées et toutes charmantes, son treillage au midi pour palisser le chèvrefeuille et les roses, son aspect confortable. son air hospitalier, elle était, selon l’expression d’Éva qui vint à ma rencontre au bras de M. Jarndyce, digne, sous tous les rapports, de son propriétaire, parole audacieuse qui valut à la ravissante créature d’avoir la joue pincée.

M. Skimpole fut aussi aimable à déjeuner qu’il l’avait été la veille.

«  Je n’élève aucune objection contre le miel, nous dit-il, mais je proteste contre l’arrogance des abeilles. De quel droit m’imposeraient-elles leur exemple ? Si elles fabriquent du miel, c’est que la chose les amuse ; personne ne les y force. Pourquoi se ferait-on un mérite de ses goûts ? Si chaque producteur s’en allait bourdonnant, quereller le premier venu, et, dans son égoïsme, tracasser chacun pour lui faire observer qu’on ne doit pas le déranger pendant qu’il va à son ouvrage, le monde deviendrait un lieu insupportable. C’est, d’ailleurs, une position ridicule, que d’être enfumé par celui qui vous prend votre fortune aussitôt qu’elle est faite. Vous auriez une bien pauvre opinion d’un fabricant de Manchester, s’il ne filait le coton que pour arriver à ce but. Ne pensez-vous pas que le bourdon per-