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portrait, plus je suis assuré de le connaître, sans pouvoir comprendre comment la chose est possible. »

L’histoire en question n’a pas le moindre rapport avec le portrait de milady : la femme de charge l’affirme. M. Guppy lui est fort obligé de cette communication et de la peine qu’on a prise pour lui montrer le château ; il se retire avec son ami, et, guidé par le garçon jardinier, il retrouve son mackintosh et sa voiture, qui ne tarde pas à s’éloigner.

Le jour baisse ; il fait déjà presque nuit ; mistress Rouncewell peut se fier à la discrétion de ses deux jeunes auditeurs et leur dire maintenant pourquoi la grande terrasse porte ce nom lugubre. Assise dans un grand fauteuil, près de la fenêtre qui s’assombrit, elle prend la parole en ces termes :

« À l’époque malheureuse et criminelle où régnait le roi Charles Ier, c’est-à-dire, chers enfants, à l’horrible époque où des rebelles se liguèrent contre cet excellent monarque, le possesseur de Chesney-Wold était sir Morbury Dedlock. Y avait-il avant ce temps-là quelque revenant dans la famille ? c’est ce que je ne saurais dire, bien que je sois portée à le croire. »

Mistress Rouncewell estime qu’une famille de cette importance et d’une telle ancienneté doit avoir son revenant ; car le revenant est l’un des privilèges de l’aristocratie, une distinction à laquelle le vulgaire ne peut nullement prétendre.

« Sir Morbury Dedlock, je n’ai pas besoin de vous le dire, poursuit mistress Rouncewell, était pour le saint roi, dont il soutenait la cause ; mais on pense que sa femme, qui n’avait pas une goutte de sang noble dans les veines, favorisait la rébellion. On dit qu’elle avait des parents parmi les révoltés ; qu’elle correspondait avec eux et les informait des résolutions prises par les fidèles serviteurs du monarque ; et l’on assure que son oreille était toujours collée à la porte quand l’un des gentlemen qui suivaient la bonne cause se rendait au conseil… Watt, n’entends-tu pas quelqu’un traverser la terrasse ? »

Rosa se rapproche de mistress Rouncewell.

« J’entends la pluie qui tombe sur les dalles, répond le jeune homme, et de plus un écho très-curieux ; j’imagine que ce n’est pas autre chose ; mais on dirait le pas inégal d’un boiteux.

Mistress Rouncewell hoche la tête et continue son récit :

« À cause de cette différence d’opinions et par d’autres motifs encore, sir Morbury et sa femme ne vivaient pas en très-bonne intelligence ; milady était fort impérieuse ; une grande différence d’âge et de caractère séparait milord et milady qui n’avaient pas d’enfants pour servir de lien entre eux ; et quand le frère