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BLEAK-HOUSE

assez curieuse, qu’il nous avait transféré complétement, à Richard et à moi, l’impression qu’il aurait dû ressentir, et que c’était vraiment nous qu’on semblait avoir arrêtés quelques instants auparavant.

Il était fort tard lorsque nous nous séparâmes, car, Éva ayant voulu se retirer vers onze heures, M. Skimpole se mit au piano en lui disant gaiement que le meilleur moyen de prolonger l’existence était de dérober quelques heures au sommeil ; ce n’est qu’après minuit qu’il prit son bougeoir, et que sa figure radieuse disparut du salon. Je crois vraiment qu’il nous eût bien retenus jusqu’au jour, s’il l’avait voulu. Éva et Richard restèrent quelques moments encore à jaser auprès du feu, et se demandaient si mistress Jellyby avait fini de dicter ses lettres à la pauvre Caddy, lorsque rentra M. Jarndyce, qui nous avait quittés en même temps que M. Skimpole.

« Qu’est-ce que c’est, qu’est-ce que c’est ? dit-il en se frottant la tête et en marchant à grands pas de cet air à la fois si bon et si vexé que nous connaissions déjà. Rick, mon enfant ! et vous, chère Esther, qu’est-ce qu’on vient de me dire là ? qu’avez-vous fait ? pourquoi et comment ? dites un peu…. Le vent tourne de nouveau ; je le sens jusqu’à la moelle. »

Nous ne savions que lui répondre.

«  Voyons, Rick, voyons, poursuivit-il, je veux régler cette affaire avant d’aller me coucher ; qu’est-il sorti de votre poche ? C’est vous deux qui avez fait la somme, je le sais ; mais pourquoi cela ? Comment avez-vous pu ?… Oh ! mon Dieu, quel vent d’est ?

— En vérité, monsieur, dit Richard, je ne crois pas pouvoir en tout honneur vous parler de cette affaire ; M. Skimpole s’est confié à nous…

— Que Dieu vous bénisse, mon cher enfant ! il se confie à tout le monde, répondit M. Jarndyce en se frappant la tête et en s’arrêtant tout à coup.

— Vraiment, monsieur ?

— À tout le monde, reprit mon tuteur qui arpenta de nouveau le salon à grands pas, tenant à la main sa bougie qu’il avait éteinte sans s’en apercevoir ; il sera dans le même bourbier la semaine prochaine ; il y est toujours : il est né poursuivi et contraint ; je suis persuadé que l’on trouverait ces lignes dans le journal qui publia sa naissance : « Mardi dernier, Mme Skimpole est accouchée, en son domicile d’Argencourt, d’un garçon protesté. »

Richard éclata de rire.