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BLEAK-HOUSE

bizarreries et les défauts, mais dont il n’était pas permis néanmoins à la société de méconnaître les droits. Il m’enchantait, bien que je ne pusse faire concorder ses théories avec les convictions que j’avais toujours eues relativement aux exigences de la vie et aux devoirs qu’elle impose. Mais si je ne comprenais pas comment il avait pu s’en affranchir, j’étais bien obligée de reconnaître que néanmoins il l’avait fait complétement.

« Je ne convoite rien, poursuivit-il d’un ton enjoué ; la propriété n’aurait aucun charme pour moi, au contraire. Voilà mon ami Jarndyce qui a une excellente maison ; je lui suis très-reconnaissant de vouloir bien la posséder ; dès que j’y viens, elle m’appartient suffisamment, sans que j’en aie l’embarras et la dépense ; je suis ici chez moi : mon intendant s’appelle Jarndyce et je puis compter sur sa fidélité.

« Nous parlions tout à l’heure de mistress Jellyby, une femme de tête, qui a une puissance d’application extraordinaire pour les choses de détail, et qui se jette dans les affaires avec une ardeur surprenante. Je l’admire, mais sans lui porter envie. Je puis sympathiser avec l’objet de ses préoccupations ; je puis en rêver, me coucher sur l’herbe par un beau jour et m’abandonner au courant d’une rivière africaine, embrassant tous les nègres que je rencontre, ou jouissant du profond silence de ces rivages déserts, dessiner la végétation des tropiques tout aussi exactement que si j’y étais allé. Je ne dis pas que ce soit d’une utilité absolue et directe ; mais c’est tout ce que je puis faire, et je le fais en conscience. Que le monde, ce composé d’individus affairés, se donne donc toute la peine qu’il aime à prendre, mais qu’il laisse vivre tout simplement Skimpole ; qu’il lui permette d’admirer la nature, et souffre que ce vieil enfant se berce joyeusement sur son cheval à bascule ; pourquoi ne pas lui laisser son dada ? »

Il était évident que M. Jarndyce n’avait pas négligé de se rendre à cette prière ; la position que M. Skimpole occupait à Bleak-House le prouvait suffisamment.

« Charmantes créatures, continua ce dernier en s’adressant à nous, c’est vous seules que j’envie ; c’est le pouvoir que vous avez de répandre la joie autour de vous qui ferait tous mes délices, et loin de ressentir pour vous une gratitude vulgaire, il me semble que c’est vous qui me devez de la reconnaissance, à moi qui vous donne l’occasion de jouir du bonheur qu’on éprouve à se montrer généreux. Peut-être ne suis-je venu au monde que pour accroître la somme de jouissances qui vous est destinée ; pour être l’un de vos bienfaiteurs en vous mettant à même de m’assister dans mes perplexités. Pourquoi regretterais-je alors