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BLEAK-HOUSE

« Je voudrais être morte, s’écria-t-elle, ce serait bien plus heureux. »

L’instant d’après, s’agenouillant auprès de moi, elle cacha sa tête dans mes vêtements, éclata en sanglots et me supplia de lui pardonner. J’essayai de la relever ; mais elle ne voulut pas. « Non, non, disait-elle ; vous qui avez l’habitude de montrer aux autres, si vous vouliez m’instruire, j’apprendrais bien avec vous ; je suis si malheureuse et je vous aime tant ! »

Je ne pus jamais la décider à se mettre à côté de moi ; tout ce que je pus obtenir, c’est qu’elle prît au moins, pour s’asseoir, un tabouret tout en loques qui se trouvait dans la chambre. Peu à peu elle se calma, et s’endormit. J’attirai sa tête sur mes genoux, et l’enveloppai de mon châle ; le feu s’éteignit et toute la nuit elle sommeilla dans la même attitude. Je restai d’abord péniblement éveillée, puis mes idées se troublèrent, devinrent plus vagues, et la jeune fille endormie sur mes genoux se transforma successivement. Je la prenais tantôt pour Éva, tantôt pour une de mes amies de Reading que je croyais avoir quittée depuis longtemps, ou pour la petite femme vieille et folle aux révérences et aux sourires ; j’entrevis l’ombre du maître de Bleak-House ; la vision s’effaça, je ne distinguai plus rien et perdis bientôt jusqu’à la conscience de moi-même.

Le jour luttait faiblement contre le brouillard quand mes yeux s’ouvrirent et rencontrèrent le visage d’un petit fantôme crasseux qui me regardait fixement : c’était Pépy qui avait escaladé son berceau et qui s’était traîné jusqu’à moi en robe de nuit et en béguin ; il avait si froid que ses petites dents en claquaient à se briser.


CHAPITRE V.

Une aventure.

Bien que la matinée fût froide et que le brouillard semblât toujours épais (je dis semblât, car les fenêtres étaient tellement sales que le plus beau soleil de juin en eût été assombri), je pressentais suffisamment ce que devait être la maison à l’heure du lever, et j’étais en outre assez curieuse de voir Londres,