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BLEAK-HOUSE

ayant glissé sur sa chaise, nous pûmes constater, lorsqu’elle revint à sa place, que son dos, où le corsage de sa robe était retenu par un lacet blanc formant treillage, ressemblait au mur d’un pavillon d’été.

La chambre, jonchée de papiers, était presque remplie par une grande table, couverte également d’une litière de paperasses, et tout aussi malpropre que désordonnée. Mais ce qui surtout nous frappa tristement, c’était une jeune fille à l’aspect maladif, jolie pourtant malgré son air de fatigue et d’ennui, qui, assise à cette table, mordillait les barbes de sa plume en fixant sur nous ses grands yeux attristés. Je ne crois pas que jamais personne ait jamais eu un si grand nombre de taches d’encre ; et de ses cheveux ébouriffés à ses jolis petits pieds, où traînaient des savates de satin éraillées, il ne se trouvait pas un seul de ses vêtements, pas une épingle, qui fût à sa place.

— Vous me voyez, dit mistress Jellyby en mouchant ses deux chandelles qui brûlaient dans des chandeliers de fer et parfumaient la pièce d’une forte odeur de suif, vous me voyez, comme toujours, extrêmement occupée ; ce projet de colonisation africaine absorbe tout mon temps. Il m’oblige à correspondre avec plusieurs sociétés éminentes et avec une foule d’individus qui prennent vivement à cœur les intérêts de l’humanité. La chose avance, je suis heureuse de vous le dire. Nous espérons avoir l’année prochaine de cent cinquante à deux cents robustes familles se livrant à la culture du café ainsi qu’à l’instruction des indigènes de Borrioboula-Gha, sur la rive gauche du Niger. »

Éva m’ayant regardée sans rien dire, je fus obligée de répondre que c’était fort satisfaisant.

« Assurément, continua mistress Jellyby. Cette œuvre absorbe mon énergie et mes facultés tout entières ; mais qu’importe à qui doit réussir ! Chaque jour le succès me paraît plus certain ; je suis vraiment étonnée, miss Summerson, que vous n’ayez jamais songé à vous établir en Afrique. »

Cette apostrophe me prit tellement au dépourvu que je ne sus d’abord que répondre ; j’insinuai que le climat….

« Le plus beau climat de la terre.

— En vérité, madame ?

— Il faut certainement des précautions. Mais si vous alliez à Holborn sans en prendre, vous seriez écrasée ; vous en prenez et vous revenez saine et sauve : il en est de même pour l’Afrique.

— Sans aucun doute, répondis-je en pensant à Holborn.