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jamais eu de servantes qui n’aient fini par boire ; maman n’est bonne qu’à tout gâter. »

M. Jellyby n’entendait pas ce que me disait sa fille ; mais il semblait fort triste, et je crus voir qu’il pleurait.

«  Mon cœur se brise quand je le regarde, poursuivit Caddy en pleurant à son tour ; et moi qui espère être si heureuse avec Prince, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il fut un jour, comme ce soir, où il espéra de tout son cœur être heureux avec maman.

— Quelle amère déception, ma chère enfant ! » dit M. Jellyby en promenant lentement son regard autour de lui ; c’était la première fois que je lui entendais dire trois paroles de suite. Caddy se leva et courut l’embrasser.

«  Ma chère enfant, reprit-il, ne prends jamais…

— Prince ? balbutia Caroline.

— Si, mon enfant, épouse-le ; mais ne prends jamais…

— Qu’est-ce qu’il ne faut pas que je prenne, cher papa ? dites-le-moi, lui demanda Caddy en lui passant les bras autour du cou.

— Ne prends jamais une mission, mon enfant. »

Il laissa tomber un gémissement, appuya sa tête contre le mur, et c’est la seule allusion qu’il ait jamais faite devant moi à la question africaine. Je suppose qu’il fut un temps où il parlait davantage et où il montrait plus de vivacité, mais l’abattement complet où je le voyais plongé paraissait déjà fort ancien, la première fois que je le vis.

Je crus, ce soir-là, que mistress Jellyby n’en finirait pas de jeter son regard plein de sérénité sur ses paperasses et de prendre du café. Il était plus de minuit quand elle nous abandonna son cabinet ; et le nettoyage dont il avait besoin était si décourageant, que la pauvre Caroline, fatiguée au delà de toute expression, se laissa tomber sur une chaise au milieu de la poussière, et ne put retenir ses larmes. Mais elle reprit bientôt courage, et nous fîmes des merveilles avant d’aller nous coucher. Aussi, le lendemain matin, à l’aide de quelques fleurs et de beaucoup d’eau de savon, le cabinet de mistress Jellyby offrait-il un aspect tout à fait réjouissant ; le déjeuner, quoique très-simple, avait bonne apparence, et la mariée était charmante. Quant à Éva, je ne crois pas qu’il ait jamais existé de figure plus ravissante que la sienne.

Nous organisâmes une petite fête pour les enfants, dans la mansarde où ils couchaient : Pepy occupa la place d’honneur. Caroline vint se faire voir en toilette de mariée à ces pauvres