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— Vous comprenez que cela pourrait donner lieu à des méprises cruelles.

— Certainement.

— Aussi lui ai-je maintes fois répété qu’il devrait se montrer plus réservé, par égard pour lui-même aussi bien que pour les autres. « Je le ferai, bonne mère, me répond-il ; vous me connaissez mieux que personne, vous savez que je n’ai pas de mauvaise intention : c’est sans y penser. » Ce qui est très-vrai, mais cela ne le justifie pas. Enfin le voilà parti et pour longtemps ; il a des recommandations excellentes, et ne sera présenté que dans de bonnes familles, ainsi donc ne songeons plus au passé. Mais vous, chère miss ? dit la vieille dame en souriant, parlons un peu de votre chère personne.

— De moi ! mistress Woodcourt.

— Il serait trop égoïste de ne songer qu’à mon fils, parti pour faire fortune et pour trouver une femme. Quand pensez-vous, de votre côté, chercher fortune et trouver un mari, miss Summerson ? Pourquoi rougissez-vous ? »

Je ne savais pas que je rougissais, et la chose importait peu ; je répondis que j’étais si contente de mon sort, que je ne désirais nullement en changer.

  • Voulez-vous que je vous dise ce que vous deviendrez et ce que je pense de votre avenir, ma toute belle, me dit mistress Woodcourt.

— Êtes-vous si bon prophète que vous puissiez le savoir ?

— Oh ! la chose est facile ; vous épouserez quelqu’un de très-riche et du plus noble caractère ; un peu âgé ; vingt-cinq ans peut-être de plus que vous ; et vous n’en serez pas moins une excellente femme, très-aimée, très-aimable et très-heureuse.

— C’est vraiment la bonne aventure, répondis-je ; mais ce ne sera pas la mienne.

— Pourquoi donc ? Il y aurait parfaite convenance, ma chère belle ; vous êtes si active, si bien placée à la tête d’une maison, si parfaitement posée pour un pareil mariage, que je ne doute pas qu’il se fasse, et personne, croyez-le, ne vous en félicitera plus sincèrement que moi-même. »

Chose étrange, ces paroles me causèrent un profond déplaisir ; j’en fus tourmentée une partie de la nuit, et j’eus tellement honte de cette folie, que je ne l’aurais avouée à personne, pas même à Éva, ce qui augmentait encore le malaise que j’en ressentais. J’aurais donné beaucoup pour ne pas être aussi avant dans la confiance de cette vieille dame ; l’ennui que j’éprouvais à cet égard me donnait de mistress Woodcourt les opinions les