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«  Judy, ma fille, reprend le vieux ladre, donne à cet homme les deux pence que je lui ai promis ; c’est beaucoup pour le peu qu’il a fait. »

Cet homme, l’un des spécimens les plus extraordinaires de ces fongus humains qui croissent spontanément dans les rues occidentales de Londres, porte une vieille jaquette rouge ; il a pour mission de tenir les chevaux et d’appeler les voitures ; il reçoit les deux pence de Judy avec assez de froideur, jette la pièce en l’air, la rattrape sur le dos de sa main et sort de la galerie.

«  Mon cher monsieur Georges, dit le grand-père Smallweed, seriez-vous assez bon pour m’approcher de la cheminée ; je me fais vieux et j’ai froid lorsque je suis loin du feu. Miséricorde ! bonté divine ! »

Cette exclamation est arrachée au vieillard par la brusquerie avec laquelle Phil Squod le saisit, lui et sa chaise, et le dépose à côté du foyer.

«  Seigneur, mon Dieu ! s’écrie l’avare tout palpitant ; bonté du ciel ! Mon cher ami, comme il est fort, votre ouvrier ! comme il est vif ! Seigneur, mon Dieu ! Judy, recule-moi un peu, j’ai les jambes toutes brûlées ; » le nez des assistants ne peut s’y méprendre, à l’odeur qui s’exhale de ses bas de laine.

« Mon cher ami, dit-il à M. Georges en lui tendant les mains, que je suis heureux de vous rencontrer ! C’est votre établissement ? un délicieux endroit ! un tableau enchanteur. Il n’arrive jamais que par hasard… une de ces armes… parte toute seule ? n’est-ce pas, cher ami, ajoute M. Smallweed qui est fort mal à son aise.

— Non, non ; n’ayez pas peur.

— Et votre ouvrier, miséricorde ! il ne laisse rien partir sans le vouloir ?

— Il n’a jamais blessé personne que lui, répond M. George en souriant.

— Mais ça pourrait lui arriver, répond M. Smallweed ; il paraît s’être blessé fréquemment, et rien n’empêche qu’il n’en puisse blesser d’autre, avec ou sans mauvaise intention ; mon cher ami, voudriez-vous lui dire de ne pas toucher à ces armes infernales et… de s’éloigner. »

Phil obéit à un signe de M. Georges et se retire, les mains vides, à l’autre bout de la salle ; M. Smallweed se rassure et se frotte les jambes.

«  Et comment vont les affaires ? dit-il au maître d’armes qui, debout carrément en face de lui, tient son sabre à la main. Grâce à Dieu vous prospérez. »