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de poudre, si ses lèvres ne restaient serrées avec défiance pendant que les porteurs déposent leur fardeau sur le plancher.

«  Seigneur, mon Dieu ! s’écrie l’affreux personnage d’une voix entrecoupée ; je n’en puis plus ; m’ont-ils secoué ! Comment vous portez-vous, mon cher ami ? »

M. Georges reconnaît alors le vénérable M. Smallweed, sorti pour prendre l’air, accompagné de sa petite fille Judy, qui est son garde du corps.

«  Monsieur Georges, mon bon ami, comment vous portez-vous ? dit le vieillard en lâchant ses porteurs qu’il tenait par le cou ; vous êtes surpris de me voir, cher monsieur ?

— Presque autant que si je voyais votre ami de la Cité, répond l’ancien soldat.

— Je sors bien rarement ; ça m’est très-difficile, et puis c’est dispendieux. Mais j’avais tant le désir de vous voir, cher monsieur Georges ; comment vous portez-vous ?

— Assez bien, je vous remercie ; et vous, monsieur Smallweed ?

— Vous ne vous porterez jamais trop bien, mon cher monsieur (l’avare lui prend les mains). J’ai amené ma petite fille ; je ne peux guère me passer d’elle, et puis elle désirait tant vous voir !

— Hum ! elle a pourtant l’air assez calme, dit M. Georges entre ses dents.

— Alors nous avons pris un cab et mis une chaise dans la voiture ; arrivés au coin de la rue, ils m’ont sorti du cab, m’ont placé sur la chaise et m’ont porté ici pour que je puisse voir ce cher ami et son établissement. Voici le cocher du cab, poursuit M. Smallweed en montrant l’un de ses porteurs qu’il a failli étrangler en le tenant par la gorge, et qui s’en va en faisant un effort pour se remettre le gosier ; je ne lui donne rien pour m’avoir apporté, c’est compris dans la course ; mais quant à l’autre, c’est différent ; nous l’avons loué au coin de la rue pour une chopine de bière, c’est-à-dire pour deux pence. Compte-lui deux pence, Judy. Je ne savais pas que vous aviez un ouvrier, monsieur Georges, ce qui m’aurait épargné la dépense d’un second porteur. »

Le grand-père Smallweed jette un regard du côté de Phil, et s’écrie avec effroi : « Miséricorde ! Seigneur, mon Dieu ! » terreur justifiée par les apparences, car le petit homme, qui n’a jamais vu l’affreux avare, stupéfié par cette apparition, s’arrête tout à coup au milieu de son travail, une carabine à la main, et semble vouloir tirer sur le grand-père Smallweed comme sur un oiseau de proie.