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sur ses genoux, soit par humilité, soit pour cacher ses mains noires, ou tout simplement par habitude.

«  La campagne ! dit M. Georges en se servant activement de son couteau et de sa fourchette ; mais tu ne l’as jamais vue, Phil ?

— J’ai vu aut’fois les marais, commandant, répond celui-ci la bouche pleine.

— Quels marais ?

— Les marais, gouverneur.

— Dans quel endroit ?

— J’sais pas l’endroit où c’qui sont ; mais j’les ai vus, commandant, ils étaient plats et puis humides. »

Gouverneur et commandant sont les titres que, dans son respect, Phil donne alternativement à M. Georges, le seul qui, d’après lui, soit digne de les porter.

«  Je suis né à la campagne, Phil.

— Pour de vrai, commandant ?

— Oui ; j’y ai même été élevé. »

Phil regarde respectueusement son maître pour lui exprimer tout l’intérêt qu’il prend à la chose, et avale une partie de son café sans quitter M. Georges des yeux.

«  Il n’y a pas en Angleterre un chant d’oiseau que je ne connaisse, Phil, continue le maître d’armes ; pas une feuille ou une baie que je ne puisse te nommer ; pas d’arbre auquel je ne puisse encore grimper, si je me trouvais à même de le faire ; j’étais un franc campagnard dans ma jeunesse ; ma bonne mère habitait la campagne, Phil !

— Ça devait être une belle vieille dame, governeur, dit le petit homme.

— Il y a trente-cinq ans, elle n’était pas vieille ; mais, en eût-elle quatre-vingt-dix, je parie qu’elle serait encore aussi droite et presque aussi large des épaules que je le suis aujourd’hui.

— Elle est morte à quatre-vingt-dix ans, governeur ?

— Non !… chut !… laissons ma mère en paix et que Dieu la bénisse ! Pourquoi diable vais-je penser à tout cela, aux champs, aux petits vagabonds qui se sauvent du toit paternel ? il faut que ce soit ton rêve qui m’y ait entraîné… ainsi donc, tu n’as jamais vu la campagne, si ce n’est en songe ? »

Le petit homme fait signe que non.

« As-tu envie de la voir ?

— N… non, j’sais pas positivement.

— La ville te suffit, hein ?