Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/342

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et en essuyant l’exsudation huileuse qui couvre son visage. Que la paix soit avec nous ! et pourquoi cela, mes amis ? parce qu’elle n’est pas faite pour endurcir, mais qu’elle est faite pour attendrir ; parce qu’elle ne déclare pas la guerre comme l’oiseau de proie, mais qu’elle vient à nous comme la colombe. C’est pourquoi je vous répète, mes amis : Que la paix soit avec nous ! Avancez, jeune garçon ! »

M. Chadband étend sa main grasse et flasque, et la pose sur le bras de Jo, qu’il retient quelques instants, pendant qu’il cherche où il devra le placer. Jo, qui a peu de confiance dans les intentions de M. Chadband, et qui s’est vu trop souvent empoigné de cette façon pour ne pas redouter les suites d’une pareille étreinte, balbutie entre ses dents : « Lâchez-moi, j’vous ai rin fait à vous ; lâchez-moi donc.

— Non, mon jeune ami, je ne veux pas vous lâcher, répond M. Chadband avec douceur ; et pour quelle raison, mon jeune ami ? parce que je suis un travailleur, un moissonneur ; parce que vous m’avez été envoyé, et qu’entre mes mains vous devenez un précieux instrument. Puissé-je, mes amis, employer cet instrument à votre profit, à votre avantage, à votre bénéfice, à votre bien-être, à votre fortune céleste : …asseyez-vous sur ce tabouret, mon jeune ami. »

Jo, qui s’imagine que le révérend va lui couper les cheveux, protège sa tête de ses bras et oppose la plus vive résistance aux efforts que l’on fait pour le placer comme il faut. Quand M. Chadband est enfin parvenu à l’ajuster comme un mannequin, le saint homme se retire derrière la table et lève sa main huileuse en disant : « Mes amis ! » Ainsi prévenu, chacun, dans l’auditoire, s’établit commodément ; les apprentis se donnent un coup de coude ; Guster ouvre les yeux et la bouche d’un air distrait ; elle est partagée entre l’admiration que lui inspire M. Chadband et la pitié qu’elle éprouve pour l’orphelin dont l’abandon et la misère la touchent profondément. Mistress Snagsby prépare en silence ses batteries ; mistress Chadband se compose un visage de circonstance, elle est auprès du feu et se chauffe les genoux, sensation qui lui paraît éminemment favorable à la réception fructueuse de la parole sacrée.

M. Chadband a pour habitude, lorsqu’il est en chaire, de fixer du regard l’un des membres de son auditoire, et d’entrer en communication particulière avec cet individu qui, cédant à sa propre émotion, laisse échapper à l’occasion un gémissement, un grognement, un bâillement, n’importe quel témoignage sensible d’une impression profonde, témoignage flatteur dont quel-