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— Recevez ma bénédiction, Gridley, s’écria miss Flite en fondant en larmes.

— Je pensais avec orgueil, monsieur Jarndyce, qu’ils ne me briseraient jamais ; j’y étais bien résolu ; je croyais pouvoir les défier jusqu’au moment où je mourrais de quelque maladie. Mais je succombe épuisé. Combien y a-t-il que cet épuisement a commencé ? je l’ignore. Il me semble qu’une heure a suffi pour m’abattre. J’espère qu’ils ne le sauront jamais ; que vous leur direz, au contraire, que je suis mort en les bravant, avec la vigueur et la persévérance que j’y ai mises depuis plus de vingt-cinq ans.

— Allons, allons, dit M. Bucket pensant devoir offrir à l’agonisant les consolations que lui suggérait son bon cœur. Ne parlez pas ainsi, monsieur Gridley ; vous êtes maintenant un peu bas ; mais cela nous arrive à tous plus d’une fois dans la vie ; qui est-ce qui n’a pas ses moments d’abattement, moi tout le premier ? Du courage, monsieur Gridley, vous leur direz encore plus d’une fois votre pensée ; j’obtiendrai contre vous une vingtaine de mandats, et je vous pincerai si j’ai de la chance. Ne tournez pas la tête, faites signe que oui, au contraire ; bonté divine ! que de fois déjà nous avons eu affaire ensemble ! ne vous ai-je pas vu bien souvent en prison pour insulte à la cour ? Ne suis-je pas allé vingt fois à l’audience, où je passais l’après-midi tout entière, rien que pour vous voir relancer le chancelier comme un bouledogue ? Et les menaces que vous faisiez aux procureurs deux ou trois fois par semaine, et les mandats qui s’ensuivaient, l’avez-vous oublié ? Demandez plutôt à cette bonne petite dame, elle y était toujours et pourra bien vous le dire. Allons, monsieur Gridley ! du courage !

— Qu’allez-vous faire de lui ? demanda M. Georges à voix basse.

— Je ne sais pas encore, » répondit M. Bucket sur le même ton.

Puis il reprit tout haut :

«  Vous dites que vous êtes épuisé, monsieur Gridley ! vous ! après m’avoir fait droguer pendant trois semaines, forcé de courir sur les toits comme un chat, et obligé de me déguiser en docteur pour pénétrer jusqu’à vous ? Ce n’est pas ça de l’épuisement, ou je ne m’y connais pas. Savez-vous ce qui vous manque ? Un peu d’excitation, et voilà tout ; vous y êtes habitué, monsieur Gridley, et ne pouvez pas vous en passer ; moi-même, je ne vivrais pas sans cela. Comme ça se trouve, j’ai précisément un mandat contre vous, obtenu par M. Tulkinghorn, et qui a couru