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être alors se souvient-il d’un de ses amis, vieux garçon de la même école et procureur comme lui, qui mena la même existence que la sienne jusqu’à l’âge de soixante-quinze ans, époque à laquelle, trouvant cette vie trop monotone, il donna, un soir d’été, sa montre d’or à son coiffeur, se dirigea tranquillement vers le Temple, où il demeurait, et se pendit sans rien dire.

Mais aujourd’hui M. Tulkinghorn n’est pas seul et n’est pas libre de se livrer à ses méditations habituelles, comme il le voudrait. Un homme chauve, au front luisant, à l’air timide, est assis en face de lui sur une chaise modestement éloignée de la table, et tousse respectueusement derrière sa main quand l’avoué lui dit de remplir son verre.

«  Et maintenant, monsieur Snagsby, revenons un peu à cette étrange aventure, dit le procureur au papetier.

— Comme vous voudrez, monsieur.

— Vous m’avez dit hier au soir, quand vous avez eu la bonté de venir ici…

— Excusez-moi, monsieur, d’avoir pris cette liberté ; mais je me suis souvenu que vous aviez paru prendre un certain intérêt à cet individu, et j’ai pensé qu’il se pourrait que… précisément… vous ayez… justement… »

M. Tulkinghorn n’est pas homme à venir au secours du papetier, encore moins à admettre qu’il prend intérêt à quelque chose ; M. Snagsby en est donc réduit à ses propres ressources, et renouvelle ses excuses pour la liberté qu’il a prise.

«  Vous n’en avez pas besoin, répond M. Tulkinghorn…. ; vous m’avez dit hier que vous aviez pris votre chapeau et que vous étiez venu sans en parler à votre femme ; c’était prudent, et vous avez bien fait ; la chose est trop importante pour la confier à personne.

— C’est que, voyez-vous, reprend M. Snagsby, ma petite femme, pour dire le mot et parler sans détour, est tant soit peu curieuse ; pauvre chère âme ! elle est sujette à des spasmes, et son esprit a besoin d’aliment : aussi l’occupe-t-elle de tout ce qu’elle peut découvrir, surtout de ce qui ne la regarde pas ; ma petite femme, monsieur, a trop d’activité dans l’imagination. »

Le papetier porte son verre à ses lèvres et murmure en toussant derrière sa main avec admiration : « Bonté divine ! quel vin !

— C’est pour cela que vous ne lui avez rien dit de votre visite d’hier, ni de celle d’aujourd’hui non plus ? dit M. Tulkinghorn.

— Oui, monsieur ; ma petite femme donne en ce moment… pour dire le mot et parler sans détour… dans une grande piété ;