Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
23
BLEAK-HOUSE

bien vite de mon premier effroi, je lui dis que, si j’avais pleuré, c’était parce que ma marraine était morte, et encore parce que mistress Rachaël n’avait pas eu de chagrin lorsque je l’avais quittée.

« Que le diable l’emporte ! répondit-il, et laissez-la partir sur son manche à balai. »

Je tremblai de nouveau et regardai le gentleman avec surprise, mais je pensai que de ma vie je n’avais vu de si bons yeux, bien qu’il continuât de grommeler entre ses dents et de donner à mistress Rachaël toutes sortes de noms qui ressemblaient à des injures ; puis, ouvrant son manteau, qui me parut assez large pour envelopper toute la diligence, il plongea sa main dans une poche de côté.

« Regardez un peu, dit-il en me montrant un petit paquet soigneusement arrangé. Il y a, dans ce papier, le meilleur gâteau qu’on puisse jamais acheter, avec une couche de sucre d’un pouce d’épaisseur, comme de la fine graisse sur une côtelette de mouton ; et puis encore un petit pâté, une véritable perle, fait en France, et devinez avec quoi ? avec des foies d’oies grasses. Voilà qui est un pâté ! Mangez-moi cela, petite, et voyons ce que vous allez en dire.

— Merci ! répondis-je. Oh ! merci ! et j’espère que vous ne vous fâcherez pas ; mais cela me ferait mal.

— Encore enfoncé ! » dit le gentleman.

Je le regardai sans comprendre, et il jeta le petit paquet par la portière.

Il ne me parla plus qu’au moment où nous approchions de Reading. Alors, il me recommanda d’être bien studieuse, de me montrer toujours bonne ; me donna une poignée de main, et descendit avant d’arriver à la ville. Je suis souvent revenue à l’endroit où il m’avait quittée, espérant toujours le rencontrer ; mais je ne le revis point : le temps passa, et je finis par l’oublier.

Quand la voiture s’arrêta, une dame très-convenable et très-proprement mise s’approcha de la portière.

« Miss Donny, dit-elle.

— Non, madame, Esther Summerson.

— Précisément, miss Donny. »

Je compris qu’elle se présentait à moi en s’annonçant par son nom. Je m’excusai de ma méprise et lui désignai mes malles, qu’elle fit mettre en dehors d’une petite voiture verte dans laquelle nous montâmes, et qui bientôt nous eut emmenées.

« Tout est prêt pour nous recevoir, Esther, dit miss Donny, et le plan de vos études a été tracé d’après les instructions de M. Jarndyce, votre tuteur.