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Le lendemain, à l’heure douteuse du crépuscule, le nouveau locataire, peu surchargé de bagages, se présente modestement chez M. Krook et s’installe dans l’ancienne chambre de Némo, où les deux yeux percés dans les volets fixent sur lui, pendant son sommeil, leur regard étonné. Le jour suivant, M. Weevle, qui est un vaurien assez habile dans son espèce, emprunte à miss Flite une aiguille et du fil ; un marteau à son propriétaire ; invente des rideaux de contrebande pour remplacer ceux qu’il n’a pas, enfonce des clous dans la muraille pour remplacer les étagères absentes, y suspend ses deux tasses, son pot au lait, quelques poteries, et s’ingénie comme un marin naufragé à tirer le meilleur parti possible des débris qui lui restent.

Mais après ses favoris, pour lesquels il éprouve une affection que des favoris seuls peuvent éveiller dans le cœur d’un homme, de tous ses biens, ce que M. Weevle estime le plus, c’est une collection choisie de gravures sur cuivre, tirées de cette œuvre éminemment nationale qui a pour titre les Divinités d’Albion, galerie des beautés de la Grande-Bretagne, où toutes les ressources de l’art, unies au capital, ont été prodiguées pour représenter les femmes nobles et fashionables d’Angleterre, avec toutes les variétés de sourire qu’on peut imaginer. Ces admirables portraits, qui sont restés indignement enfermés dans une boîte à rabats pendant tout le temps de la réclusion de M. Weevle au fond de Market-Gardens, revoient enfin la lumière et décorent la nouvelle demeure du gentleman ; et, comme les beautés de la Grande-Bretagne offrent, avec leurs sourires, une collection complète de toilettes fantastiques ; comme elles jouent d’instruments divers, caressent des chiens de toute espèce, lancent des œillades à toutes sortes de paysages, et ont derrière elles toutes les variétés imaginables de vases et de balustrades, le résultat de cette exhibition ne laisse pas de produire un effet imposant.

Mais ce n’est pas là le seul mérite de cette précieuse collection ; l’amour du grand monde est le côté faible de M. Weevle, comme il était autrefois celui de Tony Jobling ; et emprunter le soir le journal de la veille aux Armes d’Apollon, suivre la course des brillants météores qui traversent le ciel fashionable est pour lui une consolation indicible ; savoir que tel membre de tel cercle brillant est venu embellir hier cette illustre réunion, ou accomplira l’exploit non moins éclatant de s’en éloigner demain pour quelques jours, le fait palpiter de joie ; apprendre ce que font ou vont faire les beautés de la Grande-Bretagne, quels