Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/228

Cette page a été validée par deux contributeurs.

une commotion étrange quoiqu’il reprît aussitôt son calme et son sourire. Mais c’est égal, j’étais bien sûr d’avoir vu son émotion, et je me répétais toujours intérieurement avec surprise ces mots tombés auparavant de sa bouche : « Vous ne pourriez pas me comprendre. » Ce n’était toujours pas ce qu’il venait de me dire : cela, j’avais pu le comprendre aisément… Hélas ! ce n’était que trop vrai : Je ne comprenais pas, et je restai longtemps encore sans comprendre.

«  Un bonsoir paternel, Esther, me dit-il en m’embrassant sur le front ; allez vous reposer ; ne travaillez pas la nuit, c’est assez de la journée, bonne petite ménagère ! »

Je ne repris pas mon ouvrage et ne pensai plus à rien. J’ouvris mon cœur à Dieu en reconnaissance de toutes les bontés dont il m’avait comblée, et je m’endormis du plus profond sommeil.

Le lendemain, nous eûmes la visite de M. Allan Woodcourt ; il partait pour les Indes comme chirurgien de marine, et venait nous faire ses adieux. Il était sans fortune ; sa mère avait dépensé toutes ses épargnes pour subvenir aux frais de son éducation médicale ; et, bien que nuit et jour il prodiguât ses soins à des malheureux sans nombre et se montrât aussi habile que généreux et bon, il ne recevait pas assez d’argent pour suffire à ses dépenses. Il avait sept ans de plus que moi… remarque bien inutile, je ne sais pas pourquoi je la fais. Il exerçait la médecine depuis trois ou quatre ans, et n’aurait pas fait ce voyage s’il avait pu se soutenir quelques années encore ; n’en ayant pas le moyen, il se décidait à partir. C’était vraiment fâcheux, car il se faisait remarquer parmi les hommes les plus distingués dans son art, et les princes de la science avaient la plus haute opinion de son mérite.

Il était accompagné de sa mère qui venait nous voir pour la première fois ; c’était une femme d’un certain âge, bien encore, avec de beaux yeux noirs, mais qui semblait très-fière. Née dans le pays de Galles, elle comptait parmi ses ancêtres un personnage éminent, du nom de Morgan-ap-Kerrig, natif de Gimlet, je crois, dont l’illustration et les alliances rivalisaient d’éclat avec celles des souverains. Ce Morgan-ap-Kerrig avait passé toute sa vie dans les montagnes, à combattre sans cesse un ennemi quelconque ; et le barde Crumlinwallinwer avait célébré ses exploits dans une pièce de vers immortelle intitulée Mewlinnwillinwodd.

Mistress Woodcourt, après s’être étendue longuement sur la renommée de l’illustre Morgan-ap-Kerrig, ajouta « qu’elle