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dans la retraite, plusieurs pages qui ne ressemblaient en rien à tout ce que j’avais lu jusqu’alors.

«  Il était question dans cette lettre d’une enfant, d’une orpheline ayant alors douze ans, et dont on me parlait dans les termes cruels que vous venez de rapporter. La personne qui m’écrivait disait avoir élevé secrètement cette orpheline et fait disparaître jusqu’aux moindres traces de son existence ; elle ajoutait que, si l’auteur de la lettre venait à mourir, cette enfant resterait sans nom et sans appui sur la terre ; et me demandait si, dans ce cas-là, je voudrais bien veiller sur elle et continuer l’œuvre commencée. »

J’écoutais en silence, les yeux fixés sur mon tuteur.

«  Vos souvenirs, chère fille, suppléeront à ce que la lettre faisait seulement pressentir, et vous rappelleront ces principes d’une religion faussée, en vertu desquels cette femme put admettre qu’il fût nécessaire pour une enfant d’expier la faute dont elle était innocente. Je ressentis une compassion profonde pour le pauvre ange dont la vie était si malheureuse, et je répondis à la lettre. »

Je pris la main de mon tuteur et je la baisai respectueusement.

«  On m’imposait la condition, poursuivit-il, de ne jamais chercher à voir la personne qui m’écrivait, et qui depuis longtemps avait rompu toute relation avec le monde ; on me priait de désigner un agent qui s’entendrait avec elle ; je choisis M. Kenge, à qui l’auteur de la lettre confia, sans qu’il le lui eût demandé, qu’elle ne portait pas son véritable nom et qu’elle était la tante de l’enfant, si toutefois les liens du sang existaient en pareil cas. Elle ajouta que rien au monde ne lui en ferait avouer davantage ; M. Kenge resta convaincu de la fermeté inébranlable de cette résolution ; et c’est là, chère Esther, tout ce que j’ai à vous dire. »

Je gardai la main de mon tuteur quelque temps dans les miennes.

«  J’allais voir quelquefois ma pupille, reprit M. Jarndyce ; la chère enfant ne s’en doutait pas ; je reconnus qu’elle était heureuse, qu’elle savait se rendre utile et surtout se faire aimer ; enfin je l’ai prise avec moi ; elle me rend au centuple et à chaque heure du jour le peu que j’ai fait pour elle.

— Et à chaque instant, répondis-je, l’orpheline bénit le tuteur qui est pour elle un père. »

À ces paroles, un nuage passa rapidement sur le front de M. Jarndyce ; il me sembla que le mot « père » lui avait produit