Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/222

Cette page a été validée par deux contributeurs.

énormément ; j’en apprends beaucoup trop sur le premier et le second de mistress Badger.

— Cela ne m’étonne pas ! s’écria Éva.

— Et cela devient fastidieux, poursuivit Richard. Aujourd’hui ressemble trop à hier, et demain ressemblera trop à aujourd’hui.

— Je crains bien qu’il n’en soit ainsi dans toutes les professions, répondis-je ; et que la vie elle-même n’offre pas beaucoup plus de variété, si ce n’est dans des circonstances tout à fait exceptionnelles.

— Croyez-vous ? demanda Richard toujours pensif. Peut-être avez-vous raison. Eh bien ! alors, reprit-il avec gaieté, nous voilà revenus à ce que je disais tout à l’heure : autant cela qu’autre chose. Tout est donc pour le mieux, et changeons de conversation. »

Mais Éva elle-même secoua la tête en entendant ces paroles, et son charmant visage devint sérieux et triste. Je profitai de ce moment, qui me parut favorable, pour dire à Richard que, si parfois il se montrait insouciant pour lui-même, j’étais bien sûre que tout ce qui était relatif à Éva ne le trouvait jamais indifférent ; et qu’il ne pouvait pas, sans manquer à l’affection qu’il témoignait pour elle, envisager aussi légèrement une chose qui devait influer sur leur vie tout entière. Cette observation le rendit presque sérieux.

«  Chère petite mère, répondit-il, j’y ai pensé bien des fois, et je m’en suis toujours voulu de ne pas apporter au travail cette ardeur que j’ai l’intention d’y mettre, sans réussir à m’y astreindre. Je ne sais pas comment cela se fait, une chose ou l’autre me détourne toujours. Vous n’avez pas d’idée combien je suis fou d’Éva (je vous aime tant, chère cousine !), eh bien ! je ne puis pas avoir de constance pour autre chose. Aussi c’est une si rude besogne et qui demande tant de temps ! ajouta-t-il d’un air vexé.

— Elle ne vous paraît peut-être si difficile que parce que vous n’aimez pas la carrière que vous avez choisie ?

— Pauvre garçon ! dit Éva ; ce n’est pas bien étonnant. »

J’essayai de nouveau de prendre un visage sévère ; mais comment y parvenir ? et d’ailleurs, à quoi bon, lorsqu’Éva, les mains jointes, s’appuyait sur l’épaule de Richard, et que tous deux se regardaient avec amour ?

«  Voyez-vous, chère ange, disait-il en passant les doigts dans les boucles soyeuses d’Éva, je n’ai pas assez réfléchi avant de me décider. Je ne crois pas que je sois né pour la médecine ; je