Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/212

Cette page a été validée par deux contributeurs.

les chevaux, les chiens, les bœufs, et de reconnaître que, par son ignorance, on appartient à leur espèce, et non pas à celle des êtres dont on a la forme et dont on offense la nature délicate. Les idées de Jo sur un procès criminel, un juge, un évêque, un gouvernement quelconque ; sur la constitution, cet inestimable joyau, si toutefois il sait qu’elle existe, doivent être bien singulières ; tout dans sa vie matérielle et morale est étrange, et sa mort ne sera pas ce qu’il y aura de moins curieux dans sa vie.

Jo sort de Tom-all-alone’s, il va au-devant du jour qui n’est pas encore descendu ; et tout en marchant, il grignote un morceau de pain dur et sale ; rien n’est encore ouvert ; il s’assied, pour déjeuner, sur le pas de la porte de la société qui s’occupe de « la propagation de l’Évangile dans les contrées lointaines, » et lui donne un coup de balai quand il a fini, par reconnaissance pour le siége qu’il y a trouvé ; il se demande à quoi peut servir cet édifice dont il admire la grandeur ; et ne se doute pas, l’infortuné, du dénûment spirituel où se trouve un rocher de corail dans l’océan Pacifique ; il ignore ce qu’il en coûte pour sortir de leur abjection les âmes précieuses qui languissent au milieu des cocotiers et des arbres à pain !

Il se dirige vers la traversée qu’il balaye, et se met à l’ouvrage dès qu’il y est arrivé ; la ville s’éveille, le grand toton s’ébranle, tourbillonne, et de tous côtés on recommence à lire et à écrire. Jo et les autres animaux inférieurs se tirent comme ils peuvent de cet immense tohu-bohu. C’est le jour du marché ; les bœufs aveuglés, surmenés, qu’on aiguillonne mais qu’on ne guide pas, se précipitent à tort et à travers dans les lieux où ils ne doivent pas être, en sont chassés à grands coups et s’élancent, tête baissée, contre les murailles, écumants et l’œil en feu ; ils déchirent parfois celui qui ne leur avait rien fait, et se blessent souvent eux-mêmes sans savoir ce qu’ils font, absolument comme Jo et ses pareils.

Une bande de musiciens s’arrête et joue une valse. Jo l’écoute, un chien en fait autant, le chien d’un conducteur de bestiaux qui attend son maître à la porte d’un boucher, et qui pense évidemment aux moutons qu’on lui avait confiés le long de la route, et dont le voilà débarrassé ; pourtant il semble inquiet sur le compte de quatre d’entre eux ; il ne se rappelle pas l’endroit où il les a laissés, et regarde d’un bout à l’autre de la rue, s’attendant à les voir ; il dresse tout à coup les oreilles et se souvient maintenant de tout ce qui est arrivé. Ah ! le bon chien ! un peu vagabond, accoutumé aux cabarets et à la mauvaise com-