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M. Jarndyce nous quitta pour aller dans le grognoir, et miss Jellyby entama la conversation du ton brusque et maussade qui lui était ordinaire.

« Chez nous, tout va plus mal que jamais, commença-t-elle. Je n’ai pas de repos ; toujours l’Afrique ! Autant vaudrait être déportée. C’est affreux… Quand je serais une n’importe qui… »

J’essayai de la calmer.

«  C’est inutile, miss Summerson. Je vous remercie de votre intention ; mais je sais comment on me traite, et ne peux pas souffrir qu’on me dise qu’il faut supporter ça. Vous seriez à ma place que vous feriez comme moi. Pepy, va te mettre sous le piano, tu t’amuseras à y faire l’ours en cage.

— Je ne veux pas, dit l’enfant.

— Oh ! le vilain méchant, l’ingrat, le sans cœur, répliqua miss Jellyby les larmes aux yeux. Une autre fois, je ne vous habillerai plus.

— J’y vais, Caddy, tout de suite, cria Pepy qui était vraiment très-bon et que le chagrin de sa sœur touchait profondément.

— Vous trouvez que c’est bien peu de chose pour que ça me fasse pleurer, dit la pauvre fille en s’excusant ; mais je suis si fatiguée !… J’ai mis des adresses aux nouvelles circulaires jusqu’à deux heures du matin, et la tête me fait mal au point que je n’y vois plus ; et regardez ce pauvre enfant, vit-on jamais une pareille caricature ? »

Pepy, qui heureusement ne se doutait pas du ridicule de sa toilette, alla s’asseoir sous le piano et continua de manger son biscuit en nous regardant tranquillement.

«  Je l’ai envoyé là-bas, continua miss Jellyby en rapprochant sa chaise et en baissant la voix, parce que je ne veux pas qu’il entende ce qui me reste à vous dire. Les enfants ont tant de finesse, et tout va si mal à la maison ! Papa va faire banqueroute : alors maman sera contente ; c’est bien elle qu’il en faudra remercier.

— J’espère, lui répondis-je, que l’état des affaires de M. Jellyby n’est pas aussi mauvais que vous avez l’air de le craindre.

— Vous dites cela par bonté, miss Summerson, et je vous en remercie bien ; mais c’est une affaire finie. Si vous saviez comme papa en est malheureux ! Il m’a dit hier qu’il ne pouvait plus tenir, et je n’en suis pas surprise : les fournisseurs envoient à la maison tout ce qu’ils veulent ; les domestiques en font ce que bon leur semble ; et quand je saurais comment m’y prendre pour mettre ordre à tout cela, je n’aurais pas le temps de le faire.