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Il y était bien en effet. Il prit une chaise, vint s’asseoir à côté de moi et tous les deux me comblèrent de tant de marques d’affection, me donnèrent tant de preuves de confiance, qu’on eût dit qu’ils m’aimaient plus qu’eux-mêmes et s’oubliaient pour moi. Ce fut d’abord un flux de paroles que je me gardai bien d’arrêter ; les riens qu’on s’était dits cent fois ; puis les questions plus graves eurent leur tour. Combien il leur faudrait d’années avant qu’ils pussent s’unir, mais aussi quel bonheur de nourrir cet amour constant et durable, pour la félicité l’un de l’autre ! Aussi Richard allait travailler pour Éva jusqu’à s’user les ongles. Éva, de son côté, ne ferait pas moins pour Richard. Enfin, m’appelant des noms les plus tendres, ils devisèrent de la sorte une grande partie de la nuit et ne se séparèrent qu’après m’avoir fait promettre de parler au cousin John.

Le lendemain matin, j’allai donc trouver mon tuteur dès qu’il eut déjeuné, et lui dis que j’avais à lui communiquer certaine chose dont on m’avait chargée.

«  Très-bien, petite femme, dit-il en fermant son livre ; c’est une preuve que votre mission est excellente, puisque vous l’avez acceptée.

— Je l’espère bien, tuteur ; je puis, du reste, vous garantir qu’il ne m’a pas été possible de m’en acquitter plus tôt ; car c’est d’hier seulement qu’elle m’a été confiée.

— Et de quoi s’agit-il ?

— Vous n’avez pas oublié l’heureux soir où nous sommes arrivés à Bleak-House, et le moment où Éva chantait dans l’ombre, tuteur ?

— Je me le rappelle à merveille, chère enfant.

— C’est que… Éva et Richard se sont dit qu’ils s’aimaient.

— Déjà ! s’écria-t-il avec surprise.

— Oui, tuteur ; et à vrai dire je m’y attendais depuis longtemps. »

Après un moment de réflexion, pendant lequel son visage s’éclaira d’un bienveillant sourire, il me pria de faire connaître aux deux amants qu’il désirait les voir. Quand ils entrèrent, il attira Éva auprès de lui, l’entoura paternellement de son bras gauche, et s’adressant à Richard avec une douce gravité :

« Rick, lui dit-il, je suis heureux d’avoir gagné votre confiance, et j’espère bien la conserver. Lorsque la pensée m’est venue d’établir entre nous quatre ces relations qui répandent sur ma vie tant de bonheur en me créant de nouveaux plaisirs et de nouveaux intérêts, j’ai certainement envisagé, dans l’avenir, la possibilité, pour vous et votre charmante cousine, d’une