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Tout en prenant ces plaisirs que partageait M. Guppy, l’affaire qui nous avait amenés à Londres n’était pas négligée. Le cousin de M. Kenge était un M. Bayham Badger, médecin d’un établissement public assez important, avec une clientèle fort étendue à Chelsea.

Il consentit volontiers à prendre Richard en qualité de pensionnaire et à surveiller ses études ; et, comme Richard semblait devoir en faire d’excellentes avec M. Badger, qui paraissait beaucoup l’aimer, un arrangement fut proposé entre eux, approuvé par le lord chancelier, et ce fut pour l’instant une affaire terminée.

Le jour où l’on signait le contrat, nous dînâmes tous chez le docteur ; « simple dîner de famille, » avait dit l’invitation, et où effectivement il n’y avait d’autres femmes que la maîtresse de la maison, Éva et moi. Nous trouvâmes mistress Badger entourée d’objets de différente nature, annonçant qu’elle peignait un peu, jouait un peu du piano, un peu de la guitare, un peu de la harpe, chantait un peu, travaillait, lisait, versifiait, herborisait un peu. C’était une femme d’environ cinquante ans, ayant encore assez d’éclat et dont la toilette était infiniment trop jeune. Si j’ajoute à tous ces avantages qu’elle rougissait un peu, je n’entends pas l’en blâmer.

M. Badger était lui-même un gentleman blanc et rose ; ayant la voix douce, les dents blanches, les cheveux blonds et frisés, les yeux à fleur de tête et quelques années de moins que mistress Badger, qu’il admirait excessivement, et dont il admirait surtout (ce qui nous parut étrange) les deux maris qu’elle avait eus avant lui ; à peine avions-nous pris un siége, que, s’adressant à mon tuteur :

«  Croiriez-vous, lui dit-il d’un air de triomphe, que je suis le troisième mari de mistress Bayham Badger ?

— Vraiment ! s’écria M. Jarndyce.

— Mon Dieu, oui ; son troisième ! À voir mistress Badger, on ne se douterait pas de cela, n’est-ce pas, miss Summerson ?

— Pas le moins du monde, répondis-je.

— Et des hommes fort remarquables, poursuivit-il d’un ton confidentiel ; le capitaine Swosser, de la marine royale, le premier de mistress Badger, était un officier du plus haut mérite ; et le professeur Dingo, mon prédécesseur immédiat, a laissé une réputation européenne. »

Mistress Badger entendit ces derniers mots qu’elle approuva d’un sourire.

«  Oui, chère amie, continua le docteur, répondant au sourire