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elle serait vraiment belle sans une bouche féline qui dépare son visage, et un resserrement général de la face qui rend la mâchoire trop aiguë et fait paraître le crâne trop saillant ; elle a quelque chose d’acéré dans toute sa personne, et une certaine manière de regarder du coin de l’œil, sans avoir besoin de tourner la tête, dont on la dispenserait volontiers, surtout quand elle est de mauvaise humeur et qu’elle a près d’elle un couteau.

Cette expression indéfinissable perce tellement en elle, que, malgré sa toilette élégante et de bon goût, elle ressemble à une louve imparfaitement apprivoisée. D’ailleurs accomplie dans tout ce qui concerne les fonctions qu’elle occupe, elle s’exprime en anglais presque aussi bien que dans sa propre langue, et les paroles ne lui manquent pas pour accabler la pauvre Rosa, coupable d’avoir fixé l’attention de milady.

«  Ah ! ah ! ah ! vraiment ! Elle, qui est depuis cinq ans au service de milady et qu’on a toujours tenue à distance, voir cette nouvelle venue, cette poupée, caressée dès que milady l’aperçoit. « Savez-vous que vous êtes très-jolie, mon enfant ? — Non, milady. » (En cela vous avez bien raison, ma petite.) « Et quel âge avez-vous, mon enfant ?… Prenez garde qu’ils ne vous gâtent avec toutes leurs flatteries ! » Oh ! la bonne chose ! l’excellente chose ! » s’écrie Mlle Hortense, qui a contrefait la voix de milady en y ajoutant maintes grimaces, et il faut qu’elle trouve en effet la chose bien amusante car elle ne peut l’oublier ; à chaque repas, dans la société même de ses compatriotes attachées aux visiteurs de Chesney-Wold, elle jouit en silence de cette bonne plaisanterie ; on s’en aperçoit à sa moue plus allongée, à un resserrement plus prononcé du visage et à un regard plus perfide que réfléchit souvent le miroir de milady, quand milady n’est pas là pour s’y mirer elle-même.

Du reste, toutes les glaces du château sont maintenant occupées. Après n’avoir, pendant longtemps, reflété que le vide, elles réfléchissent aujourd’hui les traits divers de tous les hôtes qui sont venus passer à Chesney-Wold une semaine ou deux de janvier : traits charmants, figures souriantes et visages de soixante-dix ans qui ne consentent pas à vieillir ; élite brillante que le courrier fashionable, un grand chasseur devant Dieu, suit à la piste depuis le lancer à la cour de Saint-James, jusqu’à ce que la mort ait sonné l’hallali.

Tout n’est que vie et mouvement dans le trou du Lincolnshire. Pendant le jour, les cavaliers et les voitures animent les grandes allées du parc, où retentissent le son des voix et le bruit des