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tentissant, frotte ses mains dans leurs gants blancs, et s’arrête au coin de la rue pour regarder si par hasard il n’apercevra pas un cas de procès-verbal, depuis un enfant perdu jusqu’à un assassinat.

Protégé par la nuit qui le couvre de son ombre, le bedeau parcourt Chancery-Lane, et porte, à ceux qu’elles concernent, des assignations où son nom est le seul mot dont l’orthographe soit correcte. Cette besogne terminée, il revient chez le défunt, où il a donné rendez-vous à certains individus qui montent avec lui dans la chambre mortuaire ; et les yeux caves qui regardent par le trou des volets, peuvent contempler la dernière forme qu’on donne dans son linceul à Nemo, en attendant qu’on la donne à chacun de nous à son tour.

Toute la nuit, le cercueil reste à côté du vieux portemanteau. Et le mort solitaire, après avoir marché dans la vie pendant quarante-cinq ans, est étendu sur ce grabat, sans laisser plus de trace derrière lui qu’un enfant abandonné.

Le lendemain la cour est pleine d’animation ; « une véritable foire, » comme mistress Perkins, réconciliée avec mistress Piper, le fait remarquer à cette excellente femme. Le coroner doit siéger dans la salle du premier étage des Armes d’Apollon, où deux fois par semaine ont lieu des réunions musicales dont l’orchestre est dirigé par un habile artiste, et où l’on entend le jeune Swills, chanteur comique de la plus haute valeur, qui espère (suivant l’affiche apposée à la fenêtre) que ses amis voudront bien encourager de leur présence un talent de premier ordre.

Les Armes d’Apollon font de très-brillantes affaires ; les enfants même ont, sous l’influence de l’animation générale, éprouvé un tel besoin de réparer leurs forces, qu’un pâtissier, qui s’est établi pour la circonstance au coin de la rue, avoue que ses pains d’épice n’ont fait que paraître et disparaître, tandis que le bedeau, qui va et vient de la maison de M. Krook aux Armes d’Apollon, montre à quelques gens discrets la curiosité dont il est dépositaire, et accepte, en échange de cet aimable procédé, la politesse d’un verre d’ale ou de tout autre liquide.

À l’heure convenue arrive le coroner que les jurés attendent et que saluent à son passage les joueurs de quilles des Armes d’Apollon. Le coroner fréquente plus de cafés et de cabarets que qui que ce soit au monde ; l’odeur de la bière, de la sciure de bois, du tabac et des liqueurs, est pour lui inséparable de la mort dans ce qu’elle a de plus imposant. Il est introduit par le bedeau et le maître du café dans la salle des concerts, où il pose son chapeau sur le piano et s’assied dans un fauteuil, à l’extré-