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premier palier. Celui-ci regarde par-dessus la rampe ; le chat retrousse ses lèvres et lui montre les dents.

— Chut ! lady Jane ; il faut être polie ; vous savez ce qu’on dit de mon locataire ? demande M. Krook à l’avoué en montant deux ou trois marches.

— Non ; et qu’en dit-on ?

— Qu’il s’est vendu au diable ; mais, vous et moi, nous savons ce qui en est, et que le diable n’achète guère. Cependant je vous dirai qu’il est tellement sombre et d’une humeur si noire, que si jamais pareil marché s’est fait, ce doit être avec lui ; ne le fâchez pas, monsieur ; c’est tout ce que je puis vous dire. »

M. Tulkinghorn fait un signe affirmatif et continue de monter ; il arrive au second étage, frappe chez l’expéditionnaire, ne reçoit aucune réponse, ouvre la porte, et en l’ouvrant il éteint sa chandelle.

La pièce où il entre est petite, noire de suie, de graisse et de boue ; l’air y est tellement épais que la chandelle de l’avoué s’y serait éteinte d’elle-même. Un charbon rouge brûle tout bas dans la grille, tordue au milieu, comme si la pauvreté l’eût empoignée dans un jour de colère. Près de la cheminée est une table de sapin inondée d’une pluie d’encre, et sur laquelle se trouve un pupitre brisé ; dans l’autre coin, sur l’une des deux chaises, un portemanteau déchiré sert de garde-robe et d’armoire, et n’est pas même nécessaire, car ses deux côtés sont affaissés et se rejoignent comme les bajoues d’un pauvre homme qui a longtemps jeûné. Un vieux paillasson, usé jusqu’à la corde, pourrit devant le foyer ; pas de rideaux pour voiler l’ombre de la nuit ; mais les contrevents sont fermés, et par les deux trous qu’on y a faits pour laisser passer le jour, il est probable que la faim fixe son œil hagard sur le spectre qui est couché sur le lit. Car sur un grabat, dont la maigre paillasse est recouverte des lambeaux d’un couvre-pied crasseux, le procureur, hésitant sur le seuil de cette chambre, aperçoit un homme vêtu d’une chemise et d’un pantalon de toile, d’où sortent ses pieds nus. À la lueur mourante d’une chandelle qui a coulé tout entière, et dont le lumignon obscurci brûle encore au-dessus d’un amas de suif qui flotte autour de lui, on distingue l’affreuse pâleur de cet homme, dont les cheveux épars se mêlent à une barbe en désordre ; on ne saurait dire quelle vapeur emplit cette chambre et vous oppresse ; mais, au milieu de cette odeur nauséabonde de moisissure et de vieux tabac, la subtile amertume de l’opium s’attache aux lèvres de M. Tulkinghorn.