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M. Guppy s’agenouilla devant moi. J’étais fort à l’aise derrière ma table et point du tout effrayée. « Quittez, lui dis-je, cette position ridicule, ou je me verrais forcée de manquer à ma parole et de tirer la sonnette.

— Écoutez-moi, mademoiselle, dit M. Guppy en joignant les mains.

— Je n’écouterai pas un mot avant que vous ayez repris la place que vous n’auriez pas quittée, si vous aviez eu le sens commun. »

Il se leva d’un air piteux et alla se rasseoir comme je le lui disais.

«  Quelle dérision, mademoiselle, reprit-il en posant la main sur son cœur, et en secouant la tête avec mélancolie ; quelle dérision que de se trouver en face d’aliments quelconques dans un pareil moment ! l’âme recule devant toute nourriture, mademoiselle, quand elle est si profondément émue.

— Monsieur, lui dis-je, vous m’avez priée de vous écouter, et je vous demande à mon tour de vouloir bien en rester là.

— Oui, mademoiselle, répondit-il, car mon obéissance égale mon amour et mon respect. Plût à Dieu que je puisse un jour te le jurer devant l’autel !

— C’est impossible, répliquai-je, il ne faut pas parler de cela.

— Je ne suis pas sans savoir, continua M. Guppy en se penchant au-dessus du plateau, et en fixant sur moi ce regard ardent que je devinais sans le voir, car mes yeux étaient détournés des siens ; je ne suis pas sans savoir que sous le rapport des biens de ce monde, la proposition que je vous ai faite paraît offrir peu d’avantages ; mais écoutez, miss Summerson, ange du ciel ! … ne sonnez pas. J’ai été élevé à une rude école, je suis accoutumé au travail et à tout ce qui concerne la pratique judiciaire. Quoique bien jeune encore, j’ai découvert des preuves, gagné des causes, et acquis une profonde expérience ; que ne ferais-je pas si j’avais le bonheur de posséder votre main ; que ne ferais-je pas pour servir vos intérêts ; et pour avancer votre fortune ; quels moyens n’aurais-je pas d’apprendre tout ce qui vous concerne ? je ne sais rien aujourd’hui, mais que ne pourrais-je pas découvrir si j’avais votre confiance et que vous voulussiez encourager mes efforts ? »

Je lui répondis qu’il ne réussirait pas plus en invoquant mes intérêts qu’en s’adressant à mes sentiments, et que je le priais de comprendre que tout ce que je lui demandais, c’était de partir immédiatement.